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  • CELLES QU'ON N'A PAS EUES (5/8)

    Il y a un âge pour se tromper, et puis un autre pour recommencer.

    Un âge pour ne choisir une femme que pour le regard que les autres posent sur elle, et non pour celui qu'elle pose sur vous. La pire des garces alors, pour peu que ses dents brillent, vous attrape dans le jeu de ses jambes, tandis que celle qui n'a ni la manière ni l'allure, reste dans l'ombre. Et de cette ombre, elle vous chérit. Elle vous chérit pour rien, par habitude. Elle vous pardonne tout, vous trouve des circonstances atténuantes, vous attend. Elle vous attend pour rien. La femme ni laide ni belle, celle dont les traits communs ne peuvent aiguiser l'envie des autres et n'ont donc pas l'attrait qu'il faut, la femme ni laide ni belle a une indulgence dont les hommes pressés, vite éblouis et vite repus, n'ont pas la moindre idée.

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    Comme Anne Alvaro chez Blier, M. m'a regardé en secret, six mois durant, faire de grands gestes et de fortes déclamations devant une jolie fille sans énigme. Lorsque je l'appris quelques années plus tard, grâce à un intermédiaire très bien attentionné, je me remémorai tous ces instants où mi-amusée mi-déçue, son regard s'était absenté, son geste s'était détourné, sa parole s'était suspendue. Malgré la finesse de ses mots et le charme entêtant de son rire, dans ce groupe d'une dizaine d'amis dont il ne reste quinze ans après plus rien, elle fut ma tache aveugle.

    Il y a un âge pour se tromper, et un autre pour le regretter. Sauf que le regret ne sert à rien, et qu'il est même la preuve ultime que vous n'avez rien appris.

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  • QUAND LA FORME USE LE FOND

    cheval de turin, bela tarr, jacques sicard

       « Tout comprendre, c’est tout mépriser ». Nietzsche ne se borna pas à être le contempteur du nihilisme. Il en fut aussi l’ange. Disposition qui cristallisa notamment dans l’évocation de l’Art. « La vérité est laide : nous avons l’Art pour que la vérité ne nous fasse pas périr ». « L’existence et le monde ne sont justifiés qu’en tant que phénomène esthétique. »

      Comment le nihilisme nietzschéen s’accomplit-il au cinéma ? Quand tout se répète, non selon le toujours neuf éternel retour mais l’usant retour du même.  Quand la monotonie du montré est redoublée par le montreur. Quand le quotidien de l’homme de somme : l’obsession du feu, l’eau cherchée au puits de plein vent, l’enfilage taiseux des couches de vêtements, la charrette et son cheval qui renâcle sous le fouet, le plein jour comme un degré de l’ombre, le travail le travail le travail le travail le travail, la flamme à la mèche, l’escabeau à la fenêtre, la poignée de secondes installée à demeure, les ongles qui épluchent les patates brûlantes, l’oubli de la facilité qu’il y aurait à mourir – quand ledit quotidien est vu à travers les mêmes cadrages, les mêmes distances, les mêmes rythmes, les mêmes angles, le même découpage. Quand tout se passe comme dans un assemblage mécanique animé d’un mouvement de friction de deux pièces métalliques que rien ne distingue, sinon que l’une est plus dure, plus abrasive. Quand la forme use le fond, à le faire disparaître, et qu’elle reste seule, vêtue d’un gris magnifique entre le fer et la perle.

    (Jacques Sicard)

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  • CELLES QU'ON N'A PAS EUES (4/8)

    J'avais presque dix ans, elle sans doute à peine plus.

    R. était blonde mais sa mère avait l'habitude de parsemer sa chevelure de papiers colorés, ce qui lui donnait un air féérique et mystérieux. Ses parents étaient royalistes, ce qui à l'aube des années 80 était déjà un gros mot. R., prénom rare, prétexte aux moqueries, mais propice aux longues rêveries, et pour cela le meilleur viatique qui soit. Sa voix douce mais sans réplique, ses bras qui bougeaient à peine lorsqu'elle marchait, ses yeux qui je crois n'ont jamais cillé en ma présence, tout cela me plaisait et m'effrayait, tout cela me faisait la guetter, derrière les hauts murs du petit manoir que ses parents possédaient en Touraine, à deux pas de chez moi.

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    Elle ressemblait beaucoup à cette autre petite fille que je devais découvrir vingt ans plus tard, dans Opération peur de Mario Bava, fantôme enfantin, aux petits rires étouffés, au regard inquisiteur, aux jeux troublants, qui me fit aussitôt penser à elle, me donnant envie de savoir ce qu'elle était devenue. Je ne l'avais connue que trois étés consécutifs : nous nous étions épiés, puis apprivoisés, nous avions échangé quelques mots, même une caresse sur le haut de la joue, elle m'avait mis de force dans la main une pierre ovale et blanche, je me souviens encore de son haleine de menthe. Le quatrième été, elle ne vint pas, alors que j'étais cette fois prêt à tout ; les années suivantes, mes vacances eurent lieu ailleurs. Et je l'oubliai, ou peut-être le feignis, jusqu'à la vision de ce film.

    Retournant en Touraine, je ne trouvai alors qu'un manoir abandonné, envahi d'orties et de sureaux. Par un carreau cassé, une effraie presque rousse s'envola, qui me fit sursauter puis divaguer.

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  • CELLES QU'ON N'A PAS EUES (3/8)

    S., Les cheveux d'un blond presque blanc, avait la candeur un peu hautaine de Mimsy Farmer. Notre rencontre débuta par ailleurs, à peu de choses près, comme celle de More, même si la suite fut moins haute en couleurs. Il y eut ces trois étapes assez conventionnelles, qui jalonnent bon nombre d'histoires se voulant à toutes forces uniques : je ne parvenais pas à la regarder sans trahir mon émotion et et elle passait son temps à m'y inciter ; à force de regards à la dérobée , je lui découvrais des manques et elle des absences ; une fois mon regard affermi et quelques rêves défaits, une fois prêt à aimer sans folie ni effroi, déjà elle s'échappait.

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    Je la revois encore de temps à autre. Nous échangeons quelques mots sur le Zodiaque et Boris Vian, deux passions soildement ancrées en elle, autour d'un café qu'elle refuse régulièrement que je lui offre. A certaines de ses extravagances, qui autrefois me bouleversaient, je ne réagis aujourd'hui qu'en haussant gentiment les épaules. Et mon regard qui la "troublait jusqu'à l'âme", apaise tout juste aujourd'hui ses angoisses et ses craintes : nous sommes bons amis, encore que le mot soit un peu fort.

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  • 2012

    Je souhaite à tous ceux -intimes, amis, relations ou parfaits étrangers- qui d'un mot ou d'une lettre, d'un manuscrit ou d'un article, d'un roman ou d'un poème, d'un court ou d'un long-métrage, d'un courriel ou d'un coup de téléphone, d'un dessin ou d'une photographie, d'un repas ou d'un verre, d'une étreinte ou d'un geste, m'ont accompagné durant l'année écoulée, le meilleur pour celle qui commence.

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    Dario Argento, Othon Théodore Aristidès, Asketoner, Eric B., Balloonatic, Mehdi Benallal, Philippe Billé, Juliette Binoche, Walerian Borowicz, Daoud Boughezala, Marie Boutin, Pierre Boyer, Arnaud Bordes, Jean-Claude Brisseau, Alisa C., Marie-Hélène C., Virginie C., Vincent Chapin, Jeanne Cherhal, Sylvie D., Luc-Olivier d'Algange, Philippe d'Hugues, Alain de Benoist, Marie-Hélène de Brosses, Bruno Déniel-Laurent, Pierre Driout, Bruno Dumont, Anne-Laure E., Pascal Eysseric, Marie F., Laurence G., Arnaud Genevois, Christopher Gérard, Timothée Gérardin, Richard Gonzalez, Robert Guédiguian, Pascal Manuel Heu, Pierre J., Laurent James, Pierre Joncquez, Vincent Jourdan, Raphaël Juan, Fabienne L., Philippe L., Denis Lavant, Arnaud Le Guern, Pierre Le Vigan, Alban Lécuyer, Gérard Lenorman, Jérôme Leroy, Elizabeth Lévy, Edouard Limonov, Emeline M, Fred Mjg, Terrence Malick, Gérard Manset, Thierry Marignac, Michel Marmin, Marie Marten-Joncquez, Jérôme Martin, Alexandre Mathis, Wim Mertens, Richard Millet, Anthony Mouillon, Francis Moury, Jean-Louis Murat, Marc-Edouard Nabe, Olivier Noël, Marie P., Pradoc, Préau, Marjorie R., Vincent Roussel, Emmanuel Rousselet, Frédéric Roux, Isabelle S., Frédéric Saenen, Laurent Schang, Shanyce, Jacques Sicard, Edouard Sivière, François Talmont, Charles Tatum, Lars Von Trier, Nadia W., Peter Watkins, Kenneth White, Pascal Zamor.

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