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  • COMMUNAUTE

    a3baf2ddc6da4f73fd551ef8563d012e.jpgA la fin des années 70, sort Les nouveaux monstres, film constitué de douze sketches réalisés par Scola, Monicelli et Risi. Ni le générique de début ni celui de fin ne précise ni ne répartit les paternités et l'on en est réduit aux conjectures, selon l'opinion et la connaissance que l'on a des filmographies des trois cinéastes. On s'aperçoit vite, cela dit, que cette recherche est inutile : l'ensemble des saynètes est cohérent à la fois dans sa forme et dans son propos, satire italienne effarante de lucidité sur la fin simultanée de plusieurs mondes, celui de la morale, de l'humanisme, du respect. La politique des auteurs n'a ici pas de prise, puisque ce cinéma élégamment communautaire, met certains principes intangibles au-dessus de l'éclat des styles. Tout l'inverse de Paris, je t'aime, sorti il y a peu, qui se contente d'empiler des singularités fières de leur incommunicabilité., artificiellement liées par une ville qui n'est plus qu'un alibi.

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  • ELLE

    Les exercices d’admiration ne servent à rien.
    A peine à nous persuader que celui ou celle qui fascine, gouverne et empêche de fuir, garde pour un temps notre regard inquiet dans son sillage.

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    Et pourtant, nous ne vivons pas uniquement avec les morts, mais avec tous ceux qu’il est impossible de saisir à la gorge, afin de connaître enfin leur haleine et leur peur. Nous sommes nés pour subir le joug d’une femme absente ou d’un homme pressé, et la concorde comme le partage ne viennent jamais qu’après, lorsqu’ils ne sont plus attendus ni même souhaités.
    Juliette Binoche ne sera jamais cette icône deneuvienne, entre paraphes et parfums, que les couvertures de Gala ou de Télérama désirent avec leur habituel mépris nous vendre, car elle est avant tout l’adolescente Anna chez Carax, floue puis extrêmement précisée, chuchotante en noir et bleu, éclatant de rire avant de songer. Elle est Michèle ensuite, sur le fil, presque arrachée, et dont la danse en saccades ne peut finir sans un cri. Elle est Tereza enfin, semblable à celle que nous serrions dans nos bras pour sa première fois, celle-là même qui pleurant de plaisir, n’avait pas assez de mots pour nommer cette ombre qui déjà glissait sous la porte : l’enfance.

    Juliette Binoche possède cette vulgarité bienveillante dans le rire, et cette douleur stoïque dans les yeux, qui nous la font aimer d’avance, même si son sourire capte mieux qu’aucun autre l’attention des journalistes les plus aveuglés. Elle est cette femme dont l’énigme ne se résout pas, et tous les limiers tournant bruyamment autour d’elle, pour l’aduler, et la huer, et s’en repaître, et l’aimer quand même, tournent pour rien ; Binoche est à la fois la Julie de Kieslowski et l’Anna Barton de Malle : veuve, couverte d’hommes, seule à jamais. Elle démontre, s’il en était besoin, que le cinéma est bien cette entreprise thaumaturgique qui nous fait prendre les soubrettes et les souillons pour l’Eternelle Sophia, jusqu’à se persuader que celle-ci réside en nous, comme Grémillon d’ailleurs n’a jamais cessé de l’affirmer (mais qui peut bien perdre son temps à écouter Grémillon ?). La Femme est une instance intérieure et ses multiples avatars n’existant pas davantage que le rêve d’un autre.

    Lorsque Juliette Binoche se met à parler lentement, en appuyant sur les nasales d’une lèvre légèrement enflée, il n’y a plus à tergiverser : elle est ensemble, et jusqu’au vertige, la naïve petite polonaise devenue icône médiatique, le garçon manqué tout à sa joie de se savoir impudique, la femme d’affaire se troublant en mère dévorée. Je ne connaîtrai jamais le son de sa voix lorsqu’elle est enrhumée, l’odeur de sa peau lorsqu’elle est impatiente, les reflets sur son cou quand il pleut, et cependant cette fille filmée, aussi futile, aussi exaspérante, aussi profonde que tant d’autres, me semblera toujours vraie. Elle est dans le vrai, sans effort ni nuance, avec excès, obscénité même, alors que nous cessons de soulever avantageusement le coin des tapis, de scruter avec la pire vanité leurs motifs et leurs dessins. Elle a cette insouciance retenue qui se moque de tous les leurres du filigrane.

    En somme, il n’y a pas de quoi pavoiser. Comment se défaire d’une emprise que l’on a réclamée puis cultivée ? La regarder à la télévision ? La croiser dans un festival au bras d’une quelconque ordure post-moderne en frac ? Voilà certainement ce qui pourrait l’avilir, la polluer, la faire chuter de la statue de Pauline, bouleversante, blanche et cernée, jusqu’à la débrouillarde Juliette B., comédienne. Mais l’arrière-monde veille. Il n’attend qu’une seconde d’inattention, c’est-à-dire vingt-quatre images d’affilée, pour nous agripper, nous retourner, nous livrer une fois encore à ces Mères qui rôdent, infiniment enveloppantes. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est déjà appelée trois fois Anne, chez Carax, Malle, Mighella (quelle descente !).

    Je la vois de films en films, refaire patiemment les mêmes gestes, ses bougies à la main pour détailler Rembrandt ou les fresques d’une église, sa précipitation lors de batailles de mousse à raser ou de polochons, ses rires pour rien (Juliette Binoche ne rit jamais à bon escient), ses sourcils à peine froncés quand elle est folle de rage impuissante, son regard sombre et embué, embué comme personne avant elle, se ce n’est Falconetti peut-être, ou Donna Reed. Des vignettes de Leconte au chromo de Kurys, de la subtilité de Chantal Akerman aux sketches de Danielle Thompson, du cinéma malencontreux de Gitaï au brouillon mystique de Ferrara, de l’insignifiant Quelques jours en septembre jusqu’aux pensums verbeux d’Assayas ou de Klapisch, qui dégorgent à gros traits leur moraline, elle est toujours inconnue dans la lumière et dans « son meilleur rôle depuis longtemps », tout à la fois aînée et cadette, proie et traqueuse, drôle et renfermée. Admirable.

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  • EXULTATION

    Film porno. Le principal reproche que l'on peut (souvent) leur faire, c'est de montrer la mécanique des corps plus que leur exultation. La pornographie devient ainsi non pas le comble de l'érotisme mais sa négation. Je plaide pour une pornographie érotique : des ombres, du trouble, de la semence et des odeurs.

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    Etre tenaillé par la crainte de l'esprit de petitesse, c'est désormais un luxe, et c'est le début de l'aspiration à la hauteur. (Pierre le Vigan, Carnets)

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  • ARRIERE PENSEE

    A regarder brièvement hier soir l'éprouvant carrousel de l'association Jeunet/Caro, pétomanes et enlumineurs de premier choix, soit La cité des enfants perdus, on ne pouvait s'empêcher de remarquer que ces tribulations d'une fillette et d'un grand type maladroit avaient un air de déjà-vu, très comparables en effet à celles dépeintes dans le Léon de Besson.

    Plutôt que de s'inquiéter de cette pédophilie d'Epinal plus navrante que dangereuse, il fallait peut-être voir ces duos comme l'illustration gauche et pesante des relations que ces cinéastes mal dégrossis entretiennent avec leur public enfantin, mélange de séduction grossière et de violence insidieuse, fatras alternant les boniments mortifères de méchants loups en peluche et les déambulations ennuyeuses entre les références en toc.

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  • "Ne dites pas à maman que je suis un phénomène"

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    En dehors d'apporter une pièce de plus aux choux gras du syndrome post-11 septembre, ne serait-ce qu'en utilisant ce plan ouranophobique désormais rituel, Phénomènes ne fait que décliner (la phrase pourrait s'arrêter là tant le film répète ses figures jusqu'à l'ennui profond) l'habituel thésaurus hollywoodien, n'utilisant certaines entités (les Autres, la Nature) qu'à la seule fin puérile d'améliorer les conditions d'existence d'une cellule familiale en cours de désintégration. L'utilitarisme est un dieu et le cinéma son plus sûr dévôt.

    A la différence des productions courantes toutefois, les plans ne sont pas saturés d'amorces explicatives mais au contraire engorgés d'une incertitude infantile dûment scénarisée, ce qui finalement ne change rien à l'affaire : aucune progression, aucune régression, aucun parcours en somme, ne sont ici proposés ; semblable au Munich de Spielberg, ce film aux catastrophes inédites, dont la seule raison d'être est justement ce caractère inédit, ne sait que faire diversion entre deux carnages, changer de décor mais jamais d'axe au profit d'exécutions méthodiques, toujours plus élaborées mais jamais mises en perspective ou en contradiction.

    Quant à filmer le caractère anxiogène du vent, on indiquera au petit Shyamalan de se rapprocher des oeuvres du grand Argento, car il ne suffit pas de dissimuler un hélicoptère hors-champ pour donner aux bourrasques secouant les branches de la sauvagerie, il faut encore parvenir à inquiéter durablement, c'est-à-dire discriminer dans le champ d'une séquence, ce qui ne bougera pas de ce qui s'agite déjà trop, ce qui se couche d'un coup de ce qui résiste longtemps.

    A nouveau un protégé des Cahiers qui ne réussit pas sa mue : certains parrainages sont décidément bien encombrants.

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