Tantôt le visage immobile et le regard doux, réprimant d'un frémissement du cou l'élan qui l'aurait fait rougir, tantôt gamine facétieuse, garçon manqué clignant de l'oeil mais trahi par de trop longs cils, elle était comme Moira Shearer de ces rousses tout ensemble réservées et ardentes.
Bousculés sans cesse par des sentiments contradictoires, jamais déraisonnables et pourtant passionnés, ses personnages savaient mieux que personne donner à voir le tumulte du coeur et du temps trop vite passé.
Si je ne devais retenir qu'ne chose de Deborah Kerr, ce serait ce geste de la main, presque identique des Innocents au Narcisse noir, si pudique malgré l'horreur, si élégamment féminin en plein coeur de l'effroi.
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LABYRINTHE
Absent une semaine, voici quelques liens pour les infatigables habitués de "Cinématique" :
Le cinéma tout d'abord, avec une remarquable mise au point sur "Notre musique", une bien belle revue là , un peu de Fritz Lang pas trop formaté ici et parce qu'il vaut mieux en rire, ceci.
Pour le reste, tous ceux qui ont retrouvé avec amertume ou colère, des phrases à la virgule près voire des titres de chapitres à l'intérieur d'ouvrages de "gensdelettres" bien installés ou en cours d'intronisation, quelques mois ou années après l'envoi naïf de leur manuscrit par la poste, sauront ce que peut ressentir Alina Reyes qui prouve, après Camille Laurens et quelques autres écrivains sensibles, que personne n'est à l'abri du pillage : c'est là et c'est sans appel.
Perspectives aiguës au Café, sur cette note cinématique en diable.
Sinon, pour finir sur une pointe d'exaspération, j'observe que tout comme ces couturiers et ces "figures politiques de premier plan" venant se pousser du coude à l'exposition "Dada", tout comme Sollers baisant les pieds de Debord, Christophe Honoré claironnant Eustache, des blogs couverts de pin's, de lampions et de clignotants, fébriles à l'idée de vendre un coussin péteur en l'honneur du Darfour, osent, toute honte bue, parler de pataphysique ou d'écriture de roman... -
LES ENVOUTES
Nouvelle joute entre ceux qui crèveraient à l'idée de ne plus écrire, car chaque mot jeté sur le papier laisse une trace à l'intérieur d'eux-mêmes, et ceux qui tremblant de ne pas être lus, fomentent des coups.
Persona, d'Ingmar Bergman
Après la digne colère de Camille Laurens (qui n'est désormais plus lisible gratuitement sur la Toile mais qu'il est possible de se procurer ici), l'âpre démonstration d'Alina Reyes (chez le Stalker en synthèse et chez elle en détails) vient confirmer qu'Haenel comme Darrieussecq, ces petits tant soutenus, font de leurs fétiches volés des masques auxquels ils croient.
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ANTI-MODERNITE
Herman Melville ayant su inspirer les réalisateurs les plus sensibles, de Huston à Carax, il était presque dans l'ordre des choses que Maurice Ronet, à son tour, soit touché.
C'est son adaptation émouvante de Bartleby qui a inspiré à Jacques Sicard ces quelques lignes inédites, que l'on croirait écrites pour Olmi.
"Etre un scribe. En avoir le visage, comme un écran de cinéma qui accueille tout et ne retient rien. S’appeler Bartleby ou pas. Etre un employé de bureau. Devenir jour après jour le copiste d’une besogne dont l’accomplissement ne réclame que la colonne vertébrale, une chaise, un rond de cuir. Se vouloir le plumitif consciencieux de la paperasse qui n’épuise que les gestes réflexes et laisse libre le cerveau. Fatigue les nerfs inférieurs mais ne touche pas à la pensée. La pensée dans sa vacance primordiale, lorsqu’elle est encore sans objet, n’est qu’une vacance qui s’étend. S’enfoncer dans le plus rebutant pensum salarié et, du même coup, ouvrir, entre ses quatre murs finis, l’indéfini de cette étendue. Et y verser son poison. Ce qu’a de mauvais en soi la faculté de connaître, stérile comme une région saline. Plus nuisible d’être maintenue dans sa native vacuité, et d’abord à l’ignominieuse boutique dont on aura docile un temps tenu le greffe des minutes sonnantes et trébuchantes. Faire en sorte que cela aille très vite et bientôt ne plus rien sentir. Que la battue du temps qui toujours retourne la terre fraîche, calmement fossoie, même au cœur de l’apparente tête vide. Mais avec tant de peine alors, qu’on en entend l’ahan." -
RETROVISEUR
Les formes n'obsèdent que ceux qui les hantent. Les images n'asservissent que ceux qui les masquent.
Bunny Lake a disparu, d'Otto Preminger
Des cheveux trop fins, trop blonds, un rire arrêté, le manteau gris souris sur la plage bruineuse.
L'enfance qui revient lancinante, juste pour rien.
De l'emphase et des embrassades, de beaux projets, des étoiles plein la vue.
De quel droit m'as-tu tant porté ?
Dans une coquille de noix, le royaume de ce monde, et puis le talon qui claque, éparpillant d'un coup ce qu'on avait bâti à force de réveils en nage.
On m'a tout donné et je n'ai rien laissé.
Ceux qui ne m'ont pas loué peuvent aller se faire pendre, car j'ai tout oublié de ce qui nous distingue.
Le temps a passé et personne n'a moufté.
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QUESTIONS
A l'initiative du blog Nightswimming, quelques questions rapides et quelques réponses pressées.
1- Plaisir inavouable : L’île aux trente cercueils(Marcel Cravenne) et les films avec Marylin Jess.
2- Classique ennuyeux : Blow up (Antonioni) malgré tout le bien que je pense de ce réalisateur et les admirables déclinaisons proposées par de Palma ou Argento.
3- Adoré à l'adolescence puis abandonné : le cinéma de David Lean.
4- Chef d'oeuvre méconnu : Allonsanfan (les Taviani)
5- Navet génial : Sailor et Lula (Lynch)
6- Films détestables : Sitcom (Ozon), Rois et reines (Desplechin), 21 grammes (Inarritu), Collision (Haggis), Tout sur ma mère (Almodovar), Munich (Spielberg)...
7- Pleurer à chaque fois : Les lumières de la ville (Chaplin), Sweet sixteen (Loach), Pain et chocolat (Brusati)
8- Mourir de rire à chaque fois : A part Europa de Lars von trier, chacun des films joués ou réalisés par Jean-Marc Barr.
9- Etre émoustillé à chaque fois : Donna Reed dans La vie est belle (Capra) ; Marylin Monroe dans La rivière sans retour (Preminger), Regina Hall dans Secret Paris (Andrew Blake) ; Juliette Binoche dans Le Hussard sur le toit (Rappeneau), Magali Noël dans Amacord (Fellini)...
10- Cahiers du Cinéma, Positif ou ni l'un ni l'autre : depuis 1995, ni l’un ni l’autre.
11- Cinéastes trop vantés : Eastwood/ Lynch/ Moretti/Truffaut/Honoré...
12- Sainte trinité : Rohmer/Loach/Bresson (mais en bon lecteur d'Abellio, je vous propose plutôt un sénaire-septénaire, en ajoutant Fellini/Greenaway/Franju puis chapeautant les 6, Godard).
13-Entrée en cinéphilie : Mauvais sang de Léos Carax (1986) -
IMAGES FILMEES
Après avoir cherché, inlassablement, désespérément, pour trouver, et pour trouver même de l'anodin et du fortuit, en un temps où la compulsion mélancolique tenait lieu de programme et d'alibi, il convient désormais de promouvoir sa quête et de mettre en scène ses butins, pour mieux célébrer une époque qui fait des structures et des liens, des appels à la connivence.
Fenêtre sur cour, d'Alfred Hitchcock
Caché, de Michaël Haneke
Et pour mémoire, avant que Jan Kounen n'ait enseveli Godard :
" Dans Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, le disours prend malheureusement souvent le pas sur l'esthétique..."
-Riefenstahl avait un a priori lié aux idées nazies. Mais bizarrement, cet a priori est, à mes yeux, beaucoup moins "facho" que ce que l'on nous impose aujourd'hui...
"Pourquoi ?"
-Chez Riefenstahl, il y avait malgré tout un grand respect de la chose filmée. Il y avait une science du cadrage. Aujourd'hui, on étouffe sous une avalanche d'images filmées. N'importe qui peut s'improviser cameraman et penser qu'il fait un plan (...) Maintenant c'est le spectateur qui doit faire la différence. Encore faut-il qu'il possède un minimum d'esprit critique.
(Extrait d'un entretien avec Jean-Luc Godard, paru dans L'équipe le 9 Mai 2001)