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C I N E M A T I Q U E - Page 17

  • 96

    Elle parle sans retenue et ouvre ainsi son coeur à tout bout de champ, faisant de quelques badauds irrésolus de solides amants et du plus obtus des hommes un exceptionnel confident ; si elle se tait, l'homme de sa vie s'échappe et tourne déjà le coin de la rue.

    Dans la pénombre du salon, le gant de ma fille tombé sur le sol m'incite, malgré l'heure tardive, à un dernier effort. Lorsque j'essaie de le ramasser, il s'éloigne par une sorte de bond disgrâcieux. M'en rapprochant à nouveau, plutôt mal à l'aise, je le vois se déporter vers la droite avec une lenteur proprement effrayante. Allumant les lumières, je découvre alors un inattendu crapaud beige. Certain d'avoir repéré le gant à son emplacement habituel, je l'avais ainsi réellement vu (l'index recourbé, le dos bombé, la laine effilochée sur le côté) et c'est son mouvement inadapté, inadapté à mes souvenirs et à mon attente, qui a créé une sorte de sidération. Une expérience cinématographique en somme.

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  • 95

    Comment faire taire les manichéens sans alimenter les geignements des relativistes ? Nous sommes à une époque où seul l'antiraciste  (son catéchisme, son envie de pénal désinhibée) est jugé apte à répondre au raciste (son inculture risible, sa violence pathologique), où il n'y a plus guère le choix qu'entre le syndicaliste encagoulé et le patron véreux, le saint laïque et le religieux intégriste, Dany Boon et Jean-Luc Godard, où la logique du tiers inclus est inaudible et où tout finit toujours par des schémas.

    La fable de la perte du lien social ne tient pas une minute. Un simple coup d'oeil à ma longue liste de courriels suffit à me délivrer de cette croyance : Samantha s'enquiert avec une régularité louable de la taille de mon pénis (qu'lle souhaite résolument augmenter de plusieurs inches), Magali m'informe souvent de mon succès à la loterie (une voiture familiale puis une croisière en Egypte me sont déjà dues), Joëlle se réjouit de la qualité de mon blog et m'incite en conséquence à l'agrémenter de publicités décoratives (elle me tutoie sans effort), Fancy me propose à prix imbattables du Viagra ou de la Codéïne (il ne faudrait pas trop la pousser pour qu'elle me les offre), quant à Etienne, il n'a de cesse, en toute simplicité, de me donner des tickets gratuits pour des casinos en ligne (il me confie d'ailleurs, marque de confiance s'il en est, son patronyme).

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  • 94

    Ecouter Camille de Delerue, marcher un peu, penser au sourire gêné de cette fille éclatante, s'abriter du vent, lire quelques pages de poèmes violents et tristes, suivre des yeux une danseuse agile, rire au milieu de danseurs malhonnêtes, penser à cette fille pour qui l'on n'est rien, écouter Camille de Delerue, acquiescer en souriant, rester dans le vague, ironiser tout bas, passer devant celle qui saurait vous aimer et vous jeter dans la gueule d'une louve quelconque, marcher un peu.

    Il y a pire qu'un manichéen qui pérore : un relativiste qui se tait.

    Klapisch dans Paris, nous apprend que les clémentines, même en provenance des pays les plus divers, ne se battent pas entre elles, tranquillement côte à côte dans leurs cageots de fortune (si seulement les gens, eux aussi, etc...). Il nous rappelle également que les filles haussent les yeux au ciel lorsqu'elles reçoivent des textos, que Luchini sait danser comme un fou, que les maraîchers savent être dignes, que les boulangères sont racistes et qu'il faut vivre tant qu'il est temps (tant qu'on a la santé, hein !). Malgré son insondable bêtise et ses écoeurants complexes de classe, Paris n'arrive cependant pas une fois à prendre Juliette Binoche en défaut. Il est facile d'être remarquable chez Kieslowski ou Carax, infatigables créateurs de mythes, mais le demeurer chez Klapisch, désolant récupérateur de clichés, est bien la marque des plus grandes.  

     

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  • 93

    L'aphorisme a ceci de troublant qu'il témoigne de l'assèchement d'une pensée, tout en en annonçant le renouveau ; il ne faut jamais s'y arrêter mais au contraire déceler ce qu'il cache.

    On peut classer les époques par les vices qu'elles absolvent : la nôtre semblant alors se caractériser par la défense et l'illustration de l'envie.

    Un bon film sait dire ce qu'il montre, un beau film sait montrer ce qu'il ne sait pas dire, un grand film sait montrer ce qu'il pourrait dire mais préfère taire.

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  • 92

    Sur la place humide, quelques mouettes affolées se déchirent pour une pomme de pin sculptée en hareng, pourtant bien peu ressemblante, et puis s'enfuient sous les gerbes d'eau des nettoyeurs hostiles. Ce sont les dernières rixes du jour du Marché.

    Ils n'ont rien à ajouter mais s'empressent de le faire savoir, donnent à leur suivisme des allures singulières, se différencient en douceur et sans trop insister, avant de laisser la place à d'autres insurgés.

    La critique s'emballe : "un film hors normes qui laisse sans voix !". Si seulement...

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  • 91

    La rancoeur qui finit par s'évanouir devant le quart d'un sourire est à l'image de notre temps, où il n'y a plus rien à craindre du ressentiment (qui ne fait jamais que précéder le renoncement), sinon quelques blessures à l'aveuglette, vite éteintes.

    Certaines femmes fascinent par leur aptitude à engendrer, dans l'instant, toute une série de passions contradictoires, aimées plus que de raison puis haïes injustement, alors qu'un peu plus de temps et de recul aurait permis l'attendrissement raisonnable, c'est-à-dire l'oubli facile.

    Michael Caine dans le très honnête Un Américain bien tranquille de Philip Noyce: une juste représentation de l'Européen d'aujourd'hui, tour à tour abasourdi et mélancolique, subtil et cependant floué, prêt à perdre son honneur pour ne pas gâcher un rêve.

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  • 90

    Elle est tellement ouverte à l'avis des autres, tellement prête à réviser ses jugements et emprunter leurs chemins de traverse, qu'on la considère habituellement comme une aimable idiote, tandis que ceux qui campent sur leurs positions sans jamais en démordre, fiers de leurs oeillères et ivres de leurs principes, allant noblement jusqu'au bout de leurs impasses, font aux yeux de tous preuve de finesse d'esprit. Ici comme ailleurs, la guerre impitoyable des intelligents contre les sensibles.

    La passion cinéphile n'a que deux issues, également redoutables : l'égarement parmi les formes ou la stricte réduction de celles-ci, la souffrance d'une beauté dénuée de sens contre celle d'une vérité sans poésie.

    Les hommes qui proposent aux femmes de "refaire leur vie" sont de la même engeance que ceux qui tout aussi placidement assurent à leurs clientes qu'ils vont améliorer leur nez ou développer leurs seins. Ce sont eux bien sûr qui souhaitent se refaire, douloureusement conscients de leurs dettes.

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  • 89

    Le regret est la ruse habituelle qu'emploie l'erreur pour se renouveler.

    Elle prend une voix de tête afin de convaincre et quelques accents rauques pour s'en excuser, accumule les signaux corporels qui réhaussent son phrasé, s'immobilise pour donner l'impression que seuls ses mots en imposent : elle parle sans garde-fous puis se tait aux aguets.

    Si l'on compare le monde fictif de Gilliam et celui de Nolan, l'un découvert en traversant le miroir d'une attaction foraine (l'Imaginarium du Docteur Parnassus), l'autre en pénétrant des rêves fabriqués (Inception), on est frappé de leur diversité formelle et pourtant d'une certaine parenté (le repliement du décor sur lui-même, le changement d'échelle à vue, les spirales de la caméra). Bien sûr l'un fait dans la démesure kitsch, le gigantisme-bout de ficelle et l'autre dans le sérieux de l'hyperréalisme coûteux, l'un esquisse une réflexion sur l'évolution de l'imaginaire, ses échappées et ses limites, quand l'autre se borne à empiler des récits fictifs sur un réel bien peu crédible, mais l'un comme l'autre restent soumis aux mouvements qu'impose l'imagerie numérique ; leurs signes diffèrent mais suivent la même pente. C'est cela au fond, le sens de ses films d'allure si opposée, qui n'ont su faire de leur singularité qu'une façade couvrant l'identité commune de leur animation (au sens de ce qui les anime) : n'être que des variations techniques, des variables d'ajustement industriel.

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  • 88

    La compassion est en général le dernier pas vers l'autre, juste avant la fuite.

    Deux renards en quelques jours : le premier tôt le matin, éclatant de rousseur sur la neige, ne prenant même pas la peine d'accélérer sa course ou de me jeter le moindre regard, le second un soir pluvieux, rampant derrière les poubelles, craintif et crotté ; le même sans doute.

    Ce qui ne fonctionne pas dans Black Swan, c'est le décalage entre des scènes-chocs, violentes ou sexuelles, et un montage adoucissant, désérotisé, qui les replace immédiatement au sein d'un récit roulant sans heurt, c'est une héroïne dissociée cependant filmée à l'identique de sa normalité à ses déviances, de sa sobriété à son ivresse, de ses répétitions à son ultime représentation, c'est en somme l'incapacité à traduire l'évolution d'une trajectoire, puisque les ruptures successives sont inconséquentes et la mutation finale, parodique.

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  • 87

    Un léger érythème dessine des spirales sur ses joues, quelle que soit la nature de l'émotion qui l'assaille, émotion qu'elle admet alors sans effort, vulnérable et lucide, qu'elle revendique même. Mais lorsque son visage s'empourpre tout à fait, aucun aveu ne lui est plus possible, elle demeure farouche, sa joie comme sa colère niées en bloc.

    Le cinéma provoque des rencontres inédites, par exemple celle de Freud et d'Abellio. Black Mamba (Una Thurman) : la névrose de la femme virile ; Black Swan (Nathalie Portman) : la psychose de la femme originelle. Reste la femme ultime, sans désordre et donc sans représentation.

    Après les deux volets de Kill Bill, je n'ai nulle envie de revoir un film de sabre alors que je suis impatient de me plonger à nouveau dans l'univers du western italien. C'est que Tarantino filme ses références différemment : de manière classique ses combats asiatiques alors que les originaux sont plutôt baroques, ce qui donne de la rigueur et du panache à des rixes habituellement brouillonnes et mal cadrées ; avec maniérisme ses allusions à Sollima, Corbucci et Leone, alors que les originaux sont contrairement aux idées reçues de facture classique, ce qui apparaît redondant et presque moqueur. Un genre admiré et annobli, l'autre incompris et de ce fait caricaturé, l'ogre hollywoodien ne digère pas toujours à l'identique.

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  • 86

    Elle ramène une mèche derrière l'oreille, s'attarde sur la nuque, alourdit à peine ses paupières, brèves secondes d'abandon avant le ressaisissement, court et illusoire instant fragile précédant l'assaut.

    On ne peut pas comprendre le plaisir qu'il y a à déjouer les codes si on ne s'est pas auparavant conformé rigoureusement aux règles.

    La seule opposition à l’extrême lisibilité du cinéma fictionnel, c’est-à-dire à sa propagande, à l’évasion qu’il promet et à l’abrutissement qu’il planifie, à sa mise au pas des émotions et des jugements, ce n’est pas le brouillage complet, l’indiscernable, le balbutiement. Il faut brasser les signes, sans doute, mais afin de viser le sens, et c’est ce à quoi Godard s’attache : refuser le confort lisse des fictions déjà dites (au sens où la messe est dite) auxquelles le cinéma n’a plus rien à donner sinon du cachet ; refuser le rocambolesque ou le rachitisme des scénarios, ces manoeuvres dilatoires bien connues, mais pour atteindre le rapprochement qui en dit long. Film socialisme développe l’utopique projet d’ordonner, d’organiser, d’éliminer les affects contradictoires et les slogans divers qui nous assiègent. Voir un film de Godard est pour certains considéré comme une purge : ils ne croient pas si bien dire !

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  • 85

    Mutantes est un documentaire sans grâce ni finesse qui nous assure que la libération des femmes, leur nécessaire mutation libératrice, passe par le godemichet, la moustache et les soirées saphiques barcelonaises. Qu'en dire à part ce qu'en dit le Dr Orlof sur Kinok, où il rappelle que "des gens comme Jack Smith ou Jean Genet risquaient la prison en tournant et montrant Flaming creatures ou Un chant d’amour alors que la seule chose que risque Virginie Despentes, c’est une critique dithyrambique dans Les Inrockuptibles."

    On croit se réfugier chez la Reine pour retarder le courroux de la Demoiselle à la mule, on imagine que se baigner chez la Dame du Lac, se balader dans les vergers de Morgane, se rafraîchir à leurs fontaînes, déjouent les rencontres avec la sorcière, mais la treizième revient, c'est encore la première, et c'est toujours la seule, ou c'est le seul moment.

    A la fin, le soldat perd et l'amant renonce, il n'y a plus que le romancier qui espère.

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  • 84

    Le secret, c'est qu'il n'y a pas encore de secret  : nous n'en sommes qu'à l'aube, tout peut encore être masqué.

    Assis sur le quai, je vis passer au fil de l'eau le cadavre de mon ennemi, puis celui de ses complices, ensuite et successivement celui de mes inimitiés, de mes relations distendues, de mes amis éloignés, de mes proches silencieux, enfin le mien qui me fit un petit signe de ralliement que j'ignorai froidement.

    L'autre monde de Gilles Marchand, ce n'est pas seulement l'univers virtuel des jeux de rôles, riche d'une noire liberté, qui viendrait contaminer la simplicité d'une réalité trop formatée, c'est aussi ce cinéma de genre vaniteux qui s'imagine qu'en simulant du Lynch et en déshabillant des filles-météo, on est bien plus au coeur des choses, que l'orsqu'on met en scène des amourettes de province et du jeu relationnel façon Rohmer. La ringardise du cinéma de Marchand tient justement dans cette fausse alternative qui montre qu'il n'a compris ni Lynch ni Rohmer, et bien sûr dans son absolue incapacité à filmer le monde autrement qu'à la manière de.

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  • 83

    Il suffit d'un regard en coin pour que la droiture s'incline : l'oeillade a toujours une longueur d'avance.

    Il me semble que Jean Gabin a tort : ce qui importe vraiment dans un film, ce n'est ni le scénario, ni le scénario, ni le scénario.

    Entre l'hypocrisie du consensus et la veulerie des marges, la suffisance du centre et les manipulations des périphéries, il n'est pas facile de retrouver ses petits. Sur la burqa, par exemple où tout a été dit, psalmodié, imaginé, décrété, sans trop s'embarasser de réalité. Un peu moins de signes, un peu plus de sens : ce documentaire d'Agnès de Féo prend un autre ton et laisse entendre d'autres voix.

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