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C I N E M A T I Q U E - Page 19

  • 65

    Il y a en tout homme cet âne qui se lamente et ce singe qui grimace, l'un pleurant bruyamment sur son sort et l'autre n'ayant de cesse de s'agiter en tous sens, agressif ou hilare. A leurs exigences de deuil, de fête ou de rixe, il faut savoir résister : les tenir à distance dans leur cage sans toutefois les renier, et puis les visiter de temps à autre, comme de vieux parents connus par coeur dont on sait toutes les ruses.

    Cette femme qui trébuche dans la rue piétonne me lance un regard si vif que j'hésite à lui porter secours ; sans doute m'en veut-elle de se montrer en si fâcheuse posture, à moins qu'elle ne me reproche ainsi de ne pas intervenir plus vite. J'opte pour la seconde hypothèse mais s'accrochant à mon bras, elle m'apparaît en pleine lumière, les yeux vides, pratiquement aveugle. Ce regard si pénétrant, l'a-t-elle vraiment eu ou l'ai-je construit de toutes pièces ?

    Le cinéphile a quelques combats à mener avant d'oser se souvenir sans regretter et découvrir sans reconnaître, mais une fois qu'il y est parvenu, les films enfin sont à lui.

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  • 64

    Les hommes fiers de clamer leurs sautes d'humeur m'attristent autant que les femmes satisfaites de camper sur leurs principes.

    Je me souviens d'un homme qui prétendait défendre notre Fort Alamo quand il était avant tout prisonnier de son Alcatraz.

    Lorsque Paul Virilio déplore que la représentation pose l’apparence comme réalité de substitution, il s’inquiète que l’image coïncidant ainsi avec son sujet, il n’y ait plus entre eux le moindre intervalle. Or toute perception est en somme représentation virtuelle : pour nous, la perception de l'image d'un objet s’identifie systématiquement avec l'objet lui-même ; l'image de la fleur est la fleur. Le cerveau, au moins autant que le système sociétal vilipendé par Baudrillard, manipule les signes, quitte à nous mentir, afin de nous persuader que les messages sensoriels qui lui parviennent sont le réel. Le « virtuel » n’est gage de rien, ni de perdition ni de paradis.

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  • Du Soufre au coeur, d'Arnaud le Guern

          

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      Il faut bien comprendre que pour ceux qui sont nés dans les années 70, la vie n’a pas été rose tous les jours ! Quitter l’enfance avec Mitterand, être adolescent sous Séguéla, devenir adulte malgré Luc Besson au cinéma, Alexandre Jardin en librairie, Bernard-Henri Lévy partout ailleurs, demandaient un effort constant, parfois même une certaine rectitude morale, pour ne pas se laisser entraîner c’est à dire sombrer. Pour ne pas devenir un requin branché durant les années 80, un salaud fun la décennie suivante, un relativiste débonnaire aujourd’hui ; pour ne pas dégobiller à longueur d’années les préceptes de plus en plus insistants de transparence, d’égalitarisme, de tolérance et de festoiements obligatoires. 

       Houellebecq a sans doute tout dit de l’imposture et de la nocivité de ceux qui n’ont eu de cesse de tout saccager avec le sourire, mais pour ceux qui ont eu vingt ans au tout début des années 90, Houellebecq n’existait pas ; pour ne pas sombrer, il y avait L’Idiot International. Ce n’est alors sans doute pas un hasard si la première fois que j’ai croisé Arnaud Le Guern, dans l’éphémère revue Cartouches à la fin de ces années-là, je m’efforçais de taper sur un Jardin (Alexandre) pour mieux en célébrer un autre (Pascal), tandis qu’il se lançait dans une diatribe de haute volée contre Didier Daeninckx qui dénonçait à l’époque (sans doute avec beaucoup d’émotion) le « complot rouge-brun » au sein de L’Idiot. C’est d’ailleurs le ton de ce journal incendiaire que je retrouvais quelques années plus tard, d’abord dans la Stèle pour Edern du même Le Guern, hommage fasciné d’un écrivain pour l’un de ses maîtres, pour une liberté de penser et d’écrire bien anachronique ; puis dans Cancer !, revue qui retrouvait le goût de l’invective et la réjouissante absence d’allégeance aux soucieux démocrates comme aux abjects extrémistes, à laquelle il donna de beaux textes. Nous nous sommes croisés une seconde fois (toujours sans nous rencontrer) il y a quelques années, cette fois dans La Revue du cinéma. J’y égrenais des souvenirs de cinéphile amoureux, et lui au fond ne faisait pas autre chose avec ses « Héroïnes », portraits d’actrices magnifiques, c’est-à-dire magnifiées par ses mots. Ces convergences diverses suffisent sans doute à expliquer pourquoi j’étais particulièrement impatient de découvrir Du soufre au cœur : avec l’amour des femmes et la laideur du monde comme chevaux de bataille, prétextes aux envolées rythmiques, aux insultes grandioses, aux déclarations insensées, son attelage ne pouvait que se diriger vers le drame intérieur, c’est-à-dire le roman.

         Du Soufre au coeur. Le programme qu’évoque joliment le titre s’avère d’une grande simplicité, ce qui n’est pas sans conséquences bouleversantes : « je bois pour oublier l’immonde et pour me souvenir du sourire des jeunes filles », nous explique un homme en cure de désintoxation au Val de Grâce, qui ne peut oublier une femme mais en rencontre néanmoins une autre. Les sourires de jeunes filles finissent toujours par se ternir, c’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’on les guette, qu’on les entoure de mille précautions, qu’on les vénère jusqu’à la folie. Il faut bien s’en enivrer puisqu’il s’éteignent. Les sourires, on ne peut guère que s’en souvenir en effet, parce que sur le coup, tout entier dans la fièvre et la douleur, on les voit sans les voir, baumes inconscients, bonheurs furtifs : les jeunes filles sont toujours plus belles dans l’écrin de la mémoire, c’est là qu’on peut le mieux les déshabiller, les sortir de la gangue du contexte, ce contexte qui nous les a fait connaître mais qui peu à peu finit par les gâcher, les froisser, les diluer. Le contexte, c’est le présent, c’est la souffrance, celle de l’amour jamais assez haut placé, celles du côtoiement des autres toujours plus enjoués, le présent c’est « l’immonde ». Et « l’immonde » c’est cela : « la négation permanente de toute beauté, les silhouettes kärchérisées, la chasse aux excès, la parole sous cellophane, la parole dévitalisée… ».

        Cependant la jeune fille renaît toujours. Alors bien sûr ce roman n’est pas comme l’optimiste quatrième de couverture nous l’assure, « l’histoire d’une chute et d’une rédemption », mais il nous parle bien de renaissance, celle-ci comme chacun sait restant néanmoins le plus court chemin d’une mort à une autre. Renaissance, parce que dans le va-et-vient  incessant entre la vie des souvenirs et le surplace mortifère du présent, Le Guern parvient à déployer ce qu’il nomme son « art de la fugue ». De nombreuses manières, le présent de plomb enlève au narrateur le ressort de son écriture ( « Au Val de Grâce, les mots ne sont pas à la fête. Passés par les armes des rêveries perdues, des espérances démantibulées ») et met à mal ses bonheurs de style (« J’allais accoucher d’une phase merveilleuse, Jevoitou m’interrompt »), mais dans cet univers hygiénique et bien rôdé, réplique du monde sinistre dont les hérauts se flattent d’être « à l’écoute du siècle, de ses impératifs de gaieté factice, d’entrain à haute valeur ajoutée », dans ce microcosme hospitalier, malgré tout, de multiples possibles peuvent naître.

        Aucune déprime complaisante ici, pas d’autofiction pleurnicharde ou de journal ennuyeux, juste le fil des jours qui précèdent ce moment : quand la jeune fille renaît une fois encore. Et c’est bien elle qui engendre ce rythme endurant, ces mots qui soudain cognent ou se mettent à glisser, ces phrases altières et puis syncopées (1). « Djamila sur moi, j’étais en cavale » : au détour de cette phrase faussement anodine, tout est dit, la présence d’une femme pour mieux prendre congé, son sourire sur nous la nuit. Alors le lecteur, suspendu aux remémorations fiévreuses d’un écrivain qui perpétue sans doute le dandysme de Laurent et la verve de Blondin, mais surtout la nostalgie enfantine, à la fois malicieuse et mélancolique, de Vian, le lecteur pour quelques temps, oublie ce que devient la littérature, ce que deviennent les jeunes filles, ce qu’il devient. Il se laisse prendre au jeu de cet écrivain qui survit, qui insiste, qui surtout s’obstine à rêver sous le regard des matons qui passent, perdu à jamais dans le fouillis d’un panthéon en désordre, aussi beau et démodé qu’un jardin anglais.

     (Cet article est paru dans le Magazine des Livres N°25, Juillet/Août 2010)

     (1) dont on ne s'étonne d'ailleurs pas que la petite musique soit totalement inopérante sur des critiques littéraires endurcis, verticaux et même turgescents, qui tel le décidément bien prévisible Asensio, ne s'émeuvent qu'à bon escient, n'exultent qu'avec panache, ne bande qu'en majesté ; petite musique effectivement inaudible à qui peut s'enorgueillir de penser ainsi et surtout d'écrire de la sorte : "L'infâme Bukowski, qui ne put prétendre au rang d'écrivain que dans les rêves les plus osés de quelques journalistes en mal de fort maigres sensations, nous paraît encore un idéal enviable de sécheresse descriptive et de tenue que l'écriture se voulant artiste et n'étant que clown de Le Guern est bien incapable d'atteindre, elle qui tente, sans bien évidemment y parvenir, de poétiser l'humeur (pas cérébrale, assurément) comme prétendit le faire Zola, magnifier le cul et l'amour ou son rêve érotisé qu'il ne faut pas du tout confondre avec le cul, illuminer la gerbe et baudelairiser le guignon."

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  • 63

    Ne jamais rien trahir condamne à l'enfermement, ne jamais rien tenir mène à l'indistinction : la meilleure façon de se connaître est de renier avec mesure et d'être fidèle avec circonspection.

    Contrairement à l'Elite du Goût, dont les meutes se veulent toujours à la mode, je n'ai nul besoin de brûler Sofia Coppola, ne l'ayant jamais encensée.

    La critique cinématographique tombe souvent dans le travers qui consiste à juger un film sur l'évanescence de ses formes, "oubliées en quelques minutes" ou au contraire sa capacité à générer des images "qui vous hantent longtemps après leur vision". Il y a pourtant des films qui ne vous ont justement marqué que par la brièveté fulgurante de leur pouvoir, et dont vous seriez incapable de faire le moindre résumé ou décrire le moindre plan sans que ce pouvoir même ne s'effondre ; d'autres qui vous insupportent tant ils s'accrochent à votre mémoire, comme la pire des ritournelles, sans rien activer d'autres que quelques vagues circuits de reconnaissance.

     

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  • 62

    C'est Jarry qui dit quelque part que la meilleure façon de ruiner même les ruines, est de construire à leur place de beaux édifices bien ordonnés. Je ne connais pas de maxime plus optimiste.

    Critique parmi tant d'autres, il a ce caractère moderne assez répandu qui combine vanité excessive et mémoire défaillante. Il envie des formules ou des analyses avant de réaliser, rose de plaisir, qu'elles sont de lui, et menace à tout moment d'oublier ceux qui ne réitèrent pas assez leur allégeance.

    Comme Inferno le confirme, les déambulations des personnages argentiens, sous les auspices de Freud et Poe, ne s’élaborent que selon deux modes : la crainte de ce qu’ils ont laissé derrière et l’exploration tout aussi maladive de ce qui se cache au-devant d’eux. En d’autres termes, la phobie du passé et la névrose obsessionnelle appliquée à l’avenir ; entre les deux, reste la souffrance d’un présent qui s’éternise, et qu’à défaut de comprendre il est toujours possible de magnifier. (la suite sur Kinok)

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  • 61

    Je me tenais là, les bras ballants, devant cette salle où plus jeune je m'étais persuadé que la vie devait, pour valoir la peine, recéler quelques ingrédients essentiels : des femmes qui rient aux éclats, des hommes qui apaisent, des villes qui enserrent ou qui réchauffent mais qui jamais n'indiffèrent, des souvenirs qui comblent, de la peur qu'on déjoue, ce genre de choses. Mais ceci expliquant sans doute cela, le cinéma avait désormais laissé la place à une banque vantant ses crédits.

    Les derniers seront les premiers ? Je crois plutôt que les riches continueront de s'empiffrer, les pauvres de les envier, les gagnants de parader et les perdants de tout perdre : le diable chie toujours sur le même tas.

    Lucrèce, Godard, Parvulesco, Jaime Semprun, Badiou, Stephan George, Borzage, la Belgique, Berlusconi ; une seule explication à cet intempestif côtoiement : la sortie du nouveau numéro d'Eléments.

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  • 60

    Lorsqu'une femme vous quitte, la plus grande souffrance n'est pas de se remémorer le miracle des moments partagés, c'est de réaliser que même si elle revenait, celui-ci ne pourrait plus jamais se produire.

    Est-ce le mauvais temps qui désespère ou bien l'âme assombrie qui va jusqu'à donner aux reflets du soleil la forme de blessures, et à la brise tiède cette odeur suffocante ? 

    Je veux encore errer, le dimanche en fin de journée, dans les allées désertes de l'aquarium du Trocadéro, je veux retrouver le sel de Dieppe et l'acidité des merceries de Belleville, je veux une fois encore croiser sur ce pont Brigitte Lahaie et sa faux, ressentir la peur et le désir qu'elle savait si bien relier d'un geste, je veux continuer d'être ce personnage insensé d'Et vogue le navire, qui passe en boucle en plein naufrage, des films lui parlant d'autrefois. Je veux rester encore un peu avec Jean Rollin.

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  • 59

    Elle le trompe. Il aimerait faire le beau, tenter la commisération, lui expliquer doctement qu'elle se trompe, mais il sait bien que c'est ainsi qu'il la tromperait.

    Il faut imaginer le Grand Réac et le Grand Progressiste comme deux manitous, deux figures avec beaucoup de plumes et de fidèles, une partie d'entre eux applaudissant à la moindre maxime lancée par les chefs, mais une autre partie, plus royaliste que le Roi, ne cessant de tancer le Grand Réac d'être dans le camp du Progrès et le Grand Progressiste de vivre dans le Passé.

    La critique s'est empressée de saluer l'inventivité formelle d'Enter the void pour mieux déplorer la faiblesse ou la puérilité de son propos. Or il faut oser dire que l'un ne va pas sans l'autre : c'est justement l'immaturité du cinéaste qui lui donne accès (et nous à sa suite) à de tels manèges ; c'est bien le fait d'être retenu psychologiquement dans un monde de sensations irreliées et de formes captivantes qui engendre une telle efflorescence esthétique, où les signes s'empilent, s'additionnent, se mélangent, sans jamais fonder quoi que ce soit. Gaspar Noé est le prisonnier fasciné d'une déesse-Mère abusive à laquelle il rend brillamment hommage ; il cherche à bâtir avec ses différents films une Forme semblable à la Tour de Babel décrite par Raymond Abellio, où triompheraient "la partie sur le tout, le local sur le le gobal, le mot sur le concept, le successif sur le simultané, le nom sur le verbe". (la suite sur Kinok)

     

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  • 58

    Tout est en soldes car tout doit reparaître.

    Il avait pris l'habitude devant le moindre danger, de faire un rempart de son corps, si bien qu'au bout du compte, perclus, sanguinolent et le regard hanté, il était devenu pour ceux qu'il protégeait une figure d'épouvante.

    Dans le Léon de Besson, le spectateur ce n'est pas la fillette (qui demande qu'on la change enfin de son quotidien), ce n'est pas Léon lui-même (qui attend de retrouver son âme d'enfant), ce n'est pas non plus leur relation (la même que celle qui relie le géant à la gamine dans la Cité des enfants perdus de Jeunet) où puérilité et mutisme, nervosité et fascination, font bon ménage, non le spectateur c'est tout simplement la plante verte ; celle dont on prend soin mais toujours avec les mêmes rituels, celle à qui on donne les beaux plans ensoleillés comme les sursauts des poursuites, celle dont on n'espère pas la participation, juste la reconnaissance.

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  • 57

    Lorsqu'elle lui avoua ce 2 janvier, l'air vaguement contrit, qu'elle avait quelqu'un, il comprit immédiatement qu'au moins cette année, il ne serait plus là pour personne.

    Est-ce sa grandeur ou au contraire l'une des saloperies dont il a le secret, qui fait que l'homme s'attache à transformer ses désordres et ses déboires en poésie plutôt qu'en accepter l'augure, et se taire enfin ?

    Ils sont peu nombreux, les cinéastes vivants à donner envie de croire au cinéma. Comme Peter Watkins est de ceux-là, nous en parlons sur Causeur.

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  • 56

    Ce qui compte, ce n'est pas d'être hermétique ou mainstream, à la page ou hors-compétition, admiré ou rejeté par l'Elite du goût, ce qui compte ce n'est pas de donner des gages ou de tourner ostensiblement le dos, c'est de faire de sa cohérence une arme. Sachant faire résonner ensemble leur forme et leur propos, répondre à l'oeuvre de leur auteur, ou répliquer avec justesse à l'époque qui les a vus naître, ces dix films m'ont paru les plus cohérents de cette année :

    Film Socialisme ; Raiponce ; Mother ; A serious man ; Amer ; Mumu ; La comtesse ; Enter the void ; Crime d'amour ; Le monde sur le fil.

    En cette veille de nouvelle année, je souhaite l'indignation aux assoupis et le détachement aux excités, car il ne suffit pas d'être indifférent pour être sage, ni de s'agiter en tous sens pour que sa révolte ait un sens. Quant aux autres, qu'ils soient persévérants !

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  • 55

    Pas un film de Truffaut sans haussement d'épaules ou de sourcils, pas un film de Chabrol sans sourire complice ou furieuse envie d'applaudir, pas un film de Rivette sans bâillement, pas un film de Rohmer sans soupir d'aise, pas un film de Godard sans acquiescement silencieux ou moue dubitative. Ces manifestations sans doute interchangeables prouvent bien que La Nouvelle Vague n'a pas seulement révélé le corps de l'acteur, elle aussi libéré celui du spectateur !

    J'aimerais un jour qu'on m'explique pourquoi les films de Jean Girault ne valent que par le joyau de Funès qu'ils recèlent, alors que ceux de Gérard Oury en seraient le précieux écrin ? 

    Elle lui avait offert son plus beau sourire, et quelques heures plus tard un corps ardent. Ils marchaient à présent sur le boulevard, lui anxieux d'avoir révélé un quelconque paramètre d'identité, elle prête à jouer de l'aveu qu'il n'avait pu retenir ("c'est toi que j'attendais").

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  • 54 -Conte de fin d'année

     J’ai reçu hier la visite d’un Institut de sondages sous la forme avenante d’une jeune femme blonde. Elle proposait une sorte de quiz culturo-politique, « rapide et déjanté », pour cerner les grandes tendances de demain. Avant même que j’aie accepté, elle a commencé avec une pointe d’excitation. La première question augurait de la nature des suivantes ; on se serait cru sur un ring ou pire, à la télévision.

    - Nabe ou Houellebecq ?

    Je lui aurais bien répondu qu’aimer l’un n’excluait pas d’apprécier l’autre, que le second permettait de ne pas trop regretter, au bout du compte, sa place dans le monde, et aidait en tous cas à bien l’identifier, sans se faire la moindre illusion, tandis que le premier se proposait ni plus ni moins que de le remplacer, ce monde, et qu’il fallait bien articuler tout cela pour vivre en paix ; mais je me suis retenu. Je n’avais pas envie de choisir, pas entre ces deux-là, alors j’ai répondu ce qui m’a semblé le plus logique, la logique du tiers inclus bien sûr, et c’est là que tout a dérapé.

     - Jean-Pierre Martinet.

     - Connais pas ! Il faut choisir dans la liste ! Donc « ne se prononce pas ».

     Après la pointe d’excitation, le début de l’exaspération, je n’étais peut-être pas le premier à lui faire ce coup-là. Elle a repris un peu plus vite :

     - Guillaume Canet ou Jean-Luc Godard ?

     Ah ! Ce besoin d’opposer le peuple à l’élite, de prendre alternativement le parti de l'un puis de l'autre avec la même morgue, de bien compartimenter le tout en se flattant des convergences, cette envie de toujours mieux se dédouaner, ce désir même pas honteux de castrer à jamais le cinéma populaire d’avant, celui de La grande illusion qui faisait salle comble tout en mettant à l’honneur métaphysique et politique.

    - Jean Renoir !

    - Je coche « Ne se prononce pas » !

     Son ton devenait saccadé et son souffle plus court. Elle avait me semblait-il les larmes qui lui montaient aux yeux mais particulièrement bien formée, elle tentait de n’en rien laisser paraître.

     - Bienvenue chez les ch’tis ou Potiche ?

     Le sourire dégoulinant contre le rictus en cul de poule ? Le littéral contre le second degré, la main pesante sur l’épaule contre le clin d’œil narquois, la destruction méthodique de tout ce qui faisait le sel de la comédie de mœurs ? Toujours la même rengaine : de la fausse empathie et de la fausse ironie, du mépris light, jamais rien de plus :

    - Mercredi, folle journée !

    - Jamais entendu parler : ce sera NSP ! C’est trop facile de ne jamais choisir ! Ni oui, ni non, toujours l’esquive, vous me faites penser à Monsieur Ouine ! La parodie de nuances pour ne jamais s’engager, la simili-mesure pour toujours mieux abdiquer, vous aspirez tout, fadement, et ne sélectionnez rien, lâchement ! Dieu vomit les tièdes, Monsieur !

    Elle avait des lettres, la jolie représentante médiatique, Bernanos, rien que ça…. Je n’avais pas eu l’impression d’être tiède dans mes choix pourtant, mais c’est ainsi, la complémentarité des contraires, la synthèse qui transcende les polarités ou l’ailleurs radical qui en annule la fausse opposition, le Non qui brûle en enfer de Maître Eckart, tout cela, elle n’en voulait pas. J’essayai de faire la paix :

    - Vous savez, être héraclitéen, c’est pas si facile…

    - Clito, quoi ? répondit-elle hargneuse avant de me lancer une dernière perche, - Bénabar ou Biolay ?

    - Jeanne Cherhal !

    Alors sans même écouter mes réponses, elle a tout débité d’une traite. Il fallait en finir au plus vite : je la révoltais.

    - Sarkozy ou Villepin ?

    - De Gaulle !

    - Freud ou Nietzsche ?

    - Husserl !

    - Badiou ou Finkielkraut ?

    - Muray !

    - Nations ou mondialisation ?

    - Empire !

    - Individuel ou collectif ?

    - Conjugal !

    - Clitoridienne ou vaginale ?

    - Plexuelle !

    - Libéral ou communiste ?

    - Localiste !

    - Jamais entendu parler ! Tous vos héros sont décédés et vos concepts mort-nés !, hurla-t-elle, décoiffée, rouge de colère, la lèvre inférieure tremblante.

    Elle n’avait pas tout à fait tort. Me faisant alors comprendre que le sondage était terminé, elle a ramassé  pêle-mêle tous ses papiers, puis est partie furieuse en claquant la porte. Mais elle a laissé son numéro.

     

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  • 53

    Se fiant à sa découverte des emballages de la veille, l'inattendu grésil sous les pas de Raphaël lui fait chercher partout, ce 26 décembre, le jouet gigantesque qui aurait ainsi essaimé tant de billes de polystyrène dans la campagne environnante.

    Ce qui différencie Brigitte Lahaie de Clara Morgane, c'est que la première a toujours considéré sa carrière post-pornographique comme la résultante inattendue de prises de risque et de hasards, d'audace et de providence, quand la seconde y voit une suite logique qui d'une certaine manière lui serait dûe. Ainsi la première fut-elle une égérie quand la seconde n'est qu'un produit.

    Il s'était fait une jolie réputation en filmant des quais déserts, puis en publiant quelques poèmes dadaïstes sur des supports décalés (cartes météo, autel d'églises), avant d'exploser grâce à une reprise jazzy de génériques des années 80. Une fausse note cependant et il retomba dans l'oubli : son grand sourire satisfait au lieu d'une moue de circonstances lorsqu'il reçut la Légion d'Honneur.

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