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C I N E M A T I Q U E - Page 23

  • 13

    Si le nombre de visiteurs de ce blog diminue aujourd'hui, je n'en voudrai à personne ; après tout je suis le premier à faire un écart lorsque je croise un chat un peu trop sombre.

    J'apprends qu'Amanda Sthers (qui est à la littérature et au théâtre ce que Florian Zeller est... à la littérature et au théâtre) possède une bastide si chaleureuse que ses amis doivent réserver longtemps à l'avance pour avoir une chance d'y être accueillis. Le plus cocasse (ou le plus terrifiant, c'est selon) est que c'est l'hôtesse elle-même qui s'en flatte.

    Le plagiat aujourd'hui : la copie sans scrupule d'une oeuvre sans intérêt.

     

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  • 12

    Je ne suis pas certain d'aimer autant qu'il le faudrait ceux qui affirment m'aimer autant qu'il est possible ; tant de films amicaux et confortables qu'ainsi je délaisse.

    Même dans le pire des navets (Un mari de trop sur TF1 hier avec la chanteuse Lorie), même au sein du pire ersatz de cabotinage (à cet âge, on ne cabotine plus, on fait comme si), Delon parvient encore, par un geste retenu de la main, un sourire léger qui s'attarde, un regard fixé qui pourtant s'absente, à manifester sa force ; et c'est bouleversant.

    Je n'arrive pas encore à lire le dernier Houellebecq  : en bas de page et même entre les lignes, des analyses poussées, des remarques judicieuses et des entretiens savants empiètent sur le texte, au point que je me demande si celui-ci n'est pas devenu la mise en bouche de leur grande bouffe.

     

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  • 11

    Il se passe quelque chose d'assez extraordinaire aujourd'hui, qui surtout risque de ne jamais se reproduire, ce qui en fait tout le prix : le numéro de la note correspond très exactement à la date du jour. C'est à des détails comme celui-là que l'on accepte mieux l'idée que tout est lié...

    Il n'est décidément pas facile de désigner un vainqueur entre l'extrême mauvaise foi de Jean-Luc Mélenchon et l'abjecte rouerie des journalistes ; j'aurais au bout du compte tendance à privilégier l'hypocrisie lasse de l'arbitre, c'est-à-dire la mienne.

    Jacques Sicard m'envoie de temps en temps ses admirables notules poétiques, qui donnent l'air de rien un bon coup de vieux aux critiques modernes si souvent cousues de fil blanc ; celle-ci par exemple : "On aura eu beau parler à propos de Partie de campagne, sa luxuriante beauté naturelle, de la fidélité de Jean Renoir à son père et à l'impressionnisme - ce baiser luxurieux, au secret d'une île, qui prélude à l'inachèvement du film, semble au contraire nous en éloigner au moyen de deux trois conseils : marchez sans bruit - fraîcheur qui trame l'air tiède de l'après-midi, plus désirée que réelle, iris, roselière, terre moussue, et là, fermez à clé ; plongez vos yeux - dans ceux de l'autre, migraine ophtalmique, et là, tenez le symptôme pour une chance ; ne bougez plus - la nuit va se séparer du jour, le côté cour et le côté jardin de toujours, et là, liez vos lèvres amoureuses par un nœud qui étrangle les roseaux."

     

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  • 10

    La délicate Roselyne Bosch affirme que ceux qui n'ont pas apprécié La Rafle, film subtil s'il en est, sont "des pisse-froid qui rejoignent Hitler en esprit" (et par conséquent, si l'on pleure, j'imagine que cela suppose qu'on aurait fait partie des Justes). Il faudrait sans doute aller plus loin, et enfin admettre que ceux qui considèrent Des hommes et des dieux comme manquant singulièrement de relief sont des satanistes en puissance et ceux qui ont été consternés par Adèle Blanc-Sec des adorateurs de Pazuzu. Mais ça, qui osera le dire ?

    Hier soir, du ciel jusqu'aux quais, le même gris perlé : aucun lac à l'horizon.

    Cette femme que je vois s'approcher boîte légèrement et le dissimule à sa façon, en se passionnant pour des vitrines banales, ce qui donne à sa démarche oscillante une justification commerciale et non plus maladive. C'est cela aussi, l'air du temps.

     

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  • 9

    Emilie (7 ans bientôt) me demande si j'habiterai toujours la même maison lorsqu'elle sera partie (c'est-à-dire mariée). Je lui dis que je l'ignore et elle me confie qu'elle ne le souhaite pas, parce qu'elle sera triste alors de retrouver sa chambre d'enfant. Chez les sensibles, la nostalgie future s'envisage à chaque instant.

    Je n'ai rien contre Christophe Honoré puisque je n'ai rien de commun avec lui.

    Federico Fellini dans les années 60 : "Le procès de la décomposition actuelle de la société me paraît tout à fait normal : pour moi ce n'est pas là un signe de mort mais un signe de vie. La vie est faite de transformations. Il faudrait même accélérer cette transformation, aller dans le sens de la pourriture. La révolte est toujours féconde. Seule la révolte porte en elle la nécessité organique de l'expression. Au contraire l'approbation amène l'indifférence. On s'endort."

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  • 8

    Nuit presque blanche avec ce rêve en lambeaux répétés : une tête volante dans chaque embrasure d'une maison inconnue. A fur et à mesure, son apparition se fait à la demande et naît ce vertige où le dormeur s'imagine créer son rêve, quand selon l'angle de vue, la tête peut surgir à volonté. Traits distordus, rictus étiré, orbites creuses, ce visage je finis par le reconnaître, c'est celui de mon reflet d'hier, sur la vitre sale de la boulangerie. Ainsi nos cauchemars ne sont-ils parfois rien d'autre qu'un souvenir d'effroi.

    Lorsqu'il m'arrive de suivre une femme dans la rue, par inadvertance ou après quelques détours fascinés, je finis toujours par ressentir une certaine déception quand elle rejoint tel type d'homme ou s'arrête dans telle boutique ; comme si ce bref temps partagé l'avait faite mienne et suffisait à ce que j'aie des droits sur elle et décide de ses intentions. Ainsi en est-il sans doute de l'illusion cinéphile.

    Eugène Green : plat ou Platon ?

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  • 7

    Presque 40 ans séparent le "coeur complètement malade" de Serge Lama du Coeur qui boîte de David Halliday. Dans Je suis malade, Lama s'en prenait violemment à la femme qui par son absence et ses infidélités était en train de le détruire, Halliday pour sa part s'adresse à celle qui vient après, une fois que les séquelles empêchent d'aimer "autant que nécessaire". Les deux sont des "victimes de l'amour" mais le premier s'en insurge tandis que le second s'en excuse. L'un se débat avec rage contre ce que l'autre admet placidement. En quelques décennies, la culture de l'excuse et les bénéfices de la victimisation sont passés par là : les faiblesses et les lâchetés sont bien excusables quand on a beaucoup souffert.

    Ce qui dans la mélancolie met en joie, c'est que celle-ci, contrairement au monde sans surprise, nous cueille toujours à froid.

    "Premier film rafraîchissant, loin des tics du cinéma d'auteur à la française, C'est juste pas possible ! nous entraîne le temps d'un week-end à la suite d'un couple de trentenaires bien décidés à profiter de leur temps libre. S'amusant des clichés qu'elle brasse avec tendresse, Virginie Leconte (la fille de, qui à cause de son patronyme reconnaît avoir dû se battre d'autant plus pour faire aboutir son projet) revisite sans avoir l'air d'y toucher le genre négligé de la comédie de moeurs. On jubile !"

     

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  • 6

    Le rouge-gorge semble dormir, étendu au fond du panier d'osier, trophée matinal du chat déjà passé à d'autres crimes.

    Hier dans la rue, cette femme blonde un peu voûtée, aux traits doux, écoutant les larmes aux yeux les vociférations de son portable. Je lui souris malgré moi, elle me foudroie du regard, puis le type raccroche. Sans hésiter, nous nous séparons là.

    Palais-Royal ! de Valérie Lemercier qui se moque des têtes couronnées, pue surtout la vulgarité bourgeoise et le mépris de classe (taper sur tous, sauf sur ceux qui vous nourrissent), ce que n'avait manifestement pas vu le critique de L'Humanité s'enthousiasmant à l'époque pour "la comédie de l'année", logiquement encensée par Les Inrockuptibles et Madame Figaro.

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  • 5

    Allez, une autre : "Il y avait bien longtemps qu'un film ne nous avait autant scotchés à l'écran. Pourtant derrière ses oripeaux modernistes et ses effets spéciaux réellement impressionnants, "Motor-Man" n'est pas le simple blockbuster de l'été qu'il se plaît à singer. Huis-clos malaisant en plein cagnard, il met surtout le spectateur en demeure de choisir entre son goût pour la castagne et l'introspection radicale. Petit génie de 22 ans qui ne joue jamais au petit malin, Fred Potinski aligne sans faiblir les séquences de pure mise en scène (l'attaque du fourgon) et des instants supendus où le climax déraille (le sourire inattendu  et ô combien révélateur de Motor-Man). Une claque !"

    On peut aussi imaginer que le générateur s'emballe et produise non plus de la critique consensuelle et consommable mais du surréalisme intermittent, emphatique avec les parias, négligent avec les vedettes, mêlant les thèmes et les adjectifs jusqu'à ce que le lecteur demande grâce. On peut toujours rêver.

    Certains idéalistes ont vu dans Minority Report de Spielberg une critique de l'invasion publicitaire... On notera quand même que dans ce film d'anticipation, les marques représentées sont bien réelles, agressant autant les personnages que le spectateur, et comment ne le seraient-elles pas d'ailleurs puisqu'elles sont d'abord les sponsors du film ? 

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  • 4

    Dans la descente vers le lac, la feuille rousse soudain collée sur le pare-brise se déroule comme une main de femme pressée (les doigts nerveux sur la paume malgré tout ouverte) puis elle se détache.

    Si j'étais doué en informatique, je fabriquerais volontiers un générateur automatique de critiques cinématographiques pour les rédacteurs fatigués. Cela ne devrait choquer personne puisque la plupart d'entre elles semblent toutes signées de la même plume.

    Avec quelques mots-clef, on aurait par exemple : "Jeune trublion du cinéma transalpin, Arturo Vinni (l'auteur du corrosif "Vos papiers !") n'en a pas fini avec nos petites lâchetés quotidiennes. Au gré de saynètes douces-amères, il n'a de cesse de nous rappeler nos démissions successives à travers les mésaventures de Sandra (Augustine Pialat, magnifique), gamine intrépide dont l'énergie à se sortir des mauvais pas fait plaisir à voir. Un film humaniste, tout simplement. A voir d'urgence."

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  • 3

    Il y a ceux qui sont d'accord avec vous mais qui tiennent à vous persuader que vous êtes avant tout d'accord avec eux.

    Nabe à Ce soir ou jamais entre Aillagon, Fabius et Bourriaud, c'est un peu la Crevette cernée par les Afrikaners de District 9 : son incontrôlable différence étonne d'abord, amuse ensuite et finalement exaspère. Voilà ce qui arrive quand on se prend à parler d'Art à des gens de culture, dont le musée portatif soigneusement épousseté supporte mal les griffures et les éclats.

    Le parallèle avec le film de science-fiction de Neil Blomkamp peut d'ailleurs se prolonger, car sous la trame des positions existentielles inconciliables, il n'y a ici rien d'autre que du jeu.

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  • 2

    Raphaël (4 ans) commence la plupart de ses phrases explicatives par "en fait" et ce si précoce besoin de synthèse m'émeut à chaque fois, tant il annonce de prochaines déconvenues et de futurs ressaisissements.

    Oliver Stone à Télématin : celui-ci félicite Michael Douglas de toujours faire preuve d'un "bon esprit" (en français dans le texte) et rattache son talent de cinéaste à son insatiable curiosité qui lui a toujours fait garder..."bon esprit". Cela me rappelle cet amusant animateur des années 80 qui annonçait systématiquement les chanteurs les plus improbables par cette flatteuse expression. Sur ce qu'elle signifie exactement, on n'en saura pas plus, peut-être simplement qu'il faudrait avoir très mauvais esprit pour considérer Michael Douglas comme un comédien médiocre et Stone comme un piètre metteur en scène.

    Viens de terminer MakeUp Artist d'Alex Porker, roman publié par Alexipharmaque, maison d'édition qui a le bon esprit de me publier. Il m'a été envoyé car susceptible de me plaire au vu de ses nombreuses références cinématographiques, mais c'est surtout sa construction singulière et son thème principal plus qu'audacieux qui m'ont séduit. Qu'un roman aussi intelligemment scandaleux soit à peu près complètement ignoré ne scandalisera que ceux qui croient encore à l'autonomie de la critique.

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  • 1

    Entre les textes morts-nés et ceux dont je dois faire le deuil, léger changement de cinématique : retour au journal sur le vif.

    Ce matin, le cri rauque d'un geai outré qui s'envole devant le chat. Ce dernier reste longuement en position d'attaque, comme si sa victime allait daigner s'offrir à nouveau.

    Revu la semaine passée, Les Incorruptibles. Un spectateur, deux personnages et toutes les combinaisons de regards déclinées, de la vision collective à l'aveuglement mutuel en passant par l'image d'avance et l'image en trop. Au panoptisme générateur d'inquiétude répond le leurre mortifère. Chez de Palma, tout voir ne rassure jamais mais se laisser distraire est fatal. A tout prendre il vaut mieux souffrir de voir que détourner les yeux. Ainsi le spectacle, à la fois anxiogène et addictif, dont on ne peut en effet subir que les affronts à force d'en espérer l'emprise.

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  • CAVALE

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    Il faut bien comprendre que pour ceux qui sont nés dans les années 70, la vie n'a pas été rose tous les jours ! Quitter l'enfance avec Mitterrand, être adolescent sous Séguéla, devenir adulte malgré Luc Besson au cinéma, Alexandre Jardin en librairie, Bernard-Henri Lévy partout ailleurs, demandait un effort constant, parfois même une certaine rectitude morale, pour ne pas se laisser entraîner c'est à dire sombrer. Pour ne pas devenir un requin branché durant les années 80, un salaud fun la décennie suivante, un relativiste débonnaire aujourd'hui ; pour ne pas dégobiller à longueur d'années les préceptes de plus en plus insistants de transparence, d'égalitarisme, de tolérance et de festoiements obligatoires. Houellebecq a sans doute tout dit de l'imposture et de la nocivité de ceux qui n'ont eu de cesse de tout saccager avec le sourire, mais pour ceux qui ont eu vingt ans au tout début des années 90, Houellebecq n'existait pas ; pour ne pas sombrer, il y avait L'Idiot International. Ce n'est alors sans doute pas un hasard si la première fois que j'ai croisé Arnaud Le Guern, dans l'éphémère revue Cartouches à la fin de ces années-là, je m'efforçais de taper sur un Jardin (Alexandre) pour mieux en célébrer un autre (Pascal), tandis qu'il se lançait dans une diatribe de haute volée contre Didier Daeninckx qui dénonçait à l'époque (sans doute avec beaucoup d'émotion) le « complot rouge-brun » au sein de L'Idiot. C'est d'ailleurs le ton de ce journal incendiaire que je retrouvais quelques années plus tard, d'abord dans la Stèle pour Edern du même Le Guern, hommage fasciné d'un écrivain pour l'un de ses maîtres, pour une liberté de penser et d'écrire bien anachronique ; puis dans Cancer !, revue qui retrouvait le goût de l'invective et la réjouissante absence d'allégeance aux soucieux démocrates comme aux abjects extrémistes, à laquelle il donna de beaux textes. Nous nous sommes croisés une seconde fois (toujours sans nous rencontrer) il y a quelques années, cette fois dans La Revue du cinéma. J'y égrenais des souvenirs de cinéphile amoureux, et lui au fond ne faisait pas autre avec ses « Héroïnes », portraits d'actrices magnifiques, c'est-à-dire magnifiées par ses mots. Ces convergences diverses suffisent sans doute à expliquer pourquoi j'étais particulièrement impatient de découvrir Du soufre au cœur : avec l'amour des femmes et la laideur du monde comme chevaux de bataille, prétextes aux envolées rythmiques, aux insultes grandioses, aux déclarations insensées, son attelage ne pouvait que se diriger vers le drame intérieur, c'est-à-dire le roman.

    Du Souffre au coeur. Le programme qu'évoque joliment le titre s'avère d'une grande simplicité, ce qui n'est pas sans conséquences bouleversantes : « je bois pour oublier l'immonde et pour me souvenir du sourire des jeunes filles », nous explique un homme en cure de désintoxation au Val de Grâce, qui ne peut oublier une femme mais en rencontre néanmoins une autre. Les sourires de jeunes filles finissent toujours par se ternir, c'est d'ailleurs peut-être pour cela qu'on les guette, qu'on les entoure de mille précautions, qu'on les vénère jusqu'à la folie. Il faut bien s'en enivrer puisqu'il s'éteignent. Les sourires, on ne peut guère que s'en souvenir en effet, parce que sur le coup, tout entier dans la fièvre et la douleur, on les voit sans les voir, baumes inconscients, bonheurs furtifs : les jeunes filles sont toujours plus belles dans l'écrin de la mémoire, c'est là qu'on peut le mieux les déshabiller, les sortir de la gangue du contexte, ce contexte qui nous les a fait connaître mais qui peu à peu finit par les gâcher, les froisser, les diluer. Le contexte, c'est le présent, c'est la souffrance, celle de l'amour jamais assez haut placé, celles du côtoiement des autres toujours plus enjoués, le présent c'est « l'immonde ». Et « l'immonde » c'est cela : « la négation permanente de toute beauté, les silhouettes kärchérisées, la chasse aux excès, la parole sous cellophane, la parole dévitalisée... ». Cependant la jeune fille renaît toujours. Alors bien sûr ce roman n'est pas comme l'optimiste quatrième de couverture nous l'assure, « l'histoire d'une chute et d'une rédemption », mais il nous parle bien de renaissance, celle-ci comme chacun sait restant néanmoins le plus court chemin d'une mort à une autre. Renaissance, parce que dans le va-et-vient  incessant entre la vie des souvenirs et le surplace mortifère du présent, Le Guern parvient à déployer ce qu'il nomme son « art de la fugue ». Si de nombreuses manières le présent de plomb enlève au narrateur le ressort de son écriture ( « Au Val de Grâce, les mots ne sont pas à la fête. Passés par les armes des rêveries perdues, des espérances démantibulées ») et met à mal ses bonheurs de style (« J'allais accoucher d'une phase merveilleuse, Jevoitou m'interrompt »), dans cet univers hygiénique et bien rôdé, réplique du monde sinistre dont les hérauts se flattent d'être « à l'écoute du siècle, de ses impératifs de gaieté factice, d'entrain à haute valeur ajoutée », dans ce microcosme hospitalier, malgré tout, de multiples possibles peuvent naître.

    Aucune déprime complaisante ici, pas d'autofiction pleurnicharde ou de journal ennuyeux, juste le fil des jours qui précèdent ce moment, quand la jeune fille renaît une fois encore. Et c'est bien elle qui engendre ce rythme endurant, ces mots qui soudain cognent, ou se mettent à glisser, ces phrases altières et puis syncopées. « Djamila sur moi, j'étais en cavale » : au détour de cette phrase faussement anodine, tout est dit, la présence d'une femme pour mieux prendre congé, son sourire sur nous la nuit. Alors le lecteur, suspendu aux remémorations fiévreuses d'un écrivain qui perpétue sans doute le dandysme de Laurent et la verve de Blondin, mais surtout la nostalgie enfantine, à la fois malicieuse et mélancolique, de Vian, le lecteur pour quelques temps, oublie ce que devient la littérature, ce que deviennent les jeunes filles, ce qu'il devient. Il se laisse prendre au jeu de cet écrivain qui survit, qui insiste, qui surtout s'obstine à rêver sous le regard des matons qui passent, perdu à jamais dans le fouillis d'un panthéon en désordre, aussi beau et démodé qu'un jardin anglais.

    (Texte paru dans Le Magazine des Livres Juillet-Août 2010)

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