Tant que la méchanceté n'a pas mûri, elle est prête à tout moment à se transformer en hystérie. (Alexandre Block)
People, de Fabien Onteniente
On peut tenter de se rasséréner par là
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Tant que la méchanceté n'a pas mûri, elle est prête à tout moment à se transformer en hystérie. (Alexandre Block)
Bergman envisage la mort (celle des autres comme celle qui nous attend) comme une empreinte insistante, colorant la vie-même de désirs éteints, d'ambitions inconstantes, de tristes inachèvements, d'actes manqués. Elle est le terme d'où pourtant tout découle. Scorsese la dépeint comme une ombre passagère, une obsession dont il faut parvenir à se défaire, un récit qu'il faudrait savoir taire, une pulsion qu'il convient de contrôler, afin d'être sauvé.
Les vieux mondes mélancoliques s'éteignent, déposant les armes sans plus rien maudire. Le nouveau monde hygiénique s'étend, allumant partout mais sans y croire, les contrefeux qui demain le ruineront.
Sous ses allures de série B ultra-violente et décomplexée, à une époque où le réalisateur Eli Roth est salué par Télérama, Motel de Nimrod Antal apparaît comme l'antidote hollywoodien idéal au Funny games d'Haneke, énumérant fébrilement tous les recours encore disponibles face à la barbarie, jusqu'à fausser le temps, afin que le crime n'ait pas lieu et qu'aucun malaise ne perdure, en clair qu'aucune question embarassante ne soit posée.
Dans le premier Argento, le héros bloqué entre deux portes de verre ne pouvait agir mais voyait tout. A cette impuissance passagère, gage de formalisation et de science futures, à cette immobilité inaugurale créant littéralement le mouvement du film, répondent quatre décennies plus tard les gesticulations de ce couple figé derrière la fenêtre de sa chambre, qui ne voit rien (tout se passe en sous-sol) mais ne cesse d'agir en tous sens ; ce qui lui permettra de retrouver ce qu'il pensait avoir perdu : un cocon.
A la tranquille singularité des personnalités répond l'indifférenciation volubile des hyperindividualistes ; à la réflexion posée, le bougisme ostentatoire.
Un film éminemment sarkozien ?
L'implacable sociologie dionysiaque de Maffesoli est la seule alternative crédible à celle de Muray, mais faut-il choisir ?
Quelques extraits de son dernier essai où la participation, l'initiation fraternelle, l'interdépendance reprennent leurs droits, envoyant aux oubliettes le besoin de domination des individualistes moraux.
Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann ont-ils vraiment existé, se demandent les chiens, un soir, à la veillée.
"...penser tout à la fois la décomposition du monde moderne et de sa morale universelle..."
"...il s'agit d'un travail de sape qui permettra l'effondrement de ces institutions totalement pourries...Rien ni personne ne se reconnaît plus en elles, et pourtant, comme si de rien n'était, elles continuent à dire le droit, à édicter ce qui devrait être."
"Disons-le tout net, la morale est cela même qui représente un monde qui n'est plus."
"Ce monde qui n'est plus, c'est celui reposant sur la foi messianique dans l'Histoire. L'Histoire, divinité des temps modernes, va fonder la morale universelle sur la croyance en sa Loi : celle de l'émancipation qu'elle propose. Les grands totalitarismes du XXe siècle auront, chacun, une interprétation de cette émancipation, mais l'utopie communiste, le millénarisme national-socialiste, ou la société sans risques du libéralisme ont, tous, un moteur identique : il y a un Salut possible."
(Michel Maffesoli, Le réenchantement du monde, La Table Ronde)
Les champs matinaux piquetés de grives, les noisettes blanches, les rillons brûlants enveloppés d'une feuille de salade sous le soleil de Brenne, le rire infatigable d'Emilie, les graffitis burlesques des prisons lochoises, le criquet sur la table, l'éclat blond de Raphaël, les vacances de leur enfance fébrile et de nos questions sans réponses, la mélancolie indistincte et la joie tenace.
La nullité d'Honoré osant lever les yeux sur Bataille (Ma mère), la déchéance de Scorsese, parodiant les clips et les pubs qui lui ont tant pris, cabot frénétique même plus capable de resservir fraîche la technique rôdée d'After Hours (Bringing out the dead), le métier de Weir (Master and commander), le loft renaissant (Secret story) qui, comme c'est étrange, n'intéresse plus les exégètes du plan et les sociologues au taquet, autrefois conquis car vitupérants.
Les atours modernes, l'enthousiasme autoritaire, la pensée longuement tolérante, la morale des transparences, la fin programmée des dilemmes, le monde d'avant est décidément bien enfoncé : si d'Eustache à Honoré, il n'y a qu'un pas, c'est celui de trop.
M'absentant pour trois semaines en Touraine du sud, je laisse à l'intention des arpenteurs réguliers de "Cinématique", ainsi qu'à ses lecteurs de passage, la cartographie de quelques sentiers dignes d'intérêt :
Un demi-siècle pour transformer le rêve en programme, le malaise en jeu, l'anormal en rites et le singulier en produits dérivés.
Un demi-siècle pour passer du secret aux aveux, du "il ne faut pas tout dire" à "il ne faut rien cacher", du reflet insaisissable à la caméra inquisitrice, du mauvais génie à l'ange gardien.
Un demi-siècle pour passer du trouble à la commande, de la fascination à la manipulation, des ruminations maladives au triomphe élitaire.
L'art qui cadre à l'intérieur du cadre, de Ford jusqu'aux films-gigognes de Greenaway, des chambres de Vermeer aux inclusions de Mondrian, des piliers de Leone aux à-plats de Chantal Akerman, des boucles de Philip Glass aux klaxons de Reich, ne cherche pas à emprisonner mais à abstraire.
Plus il circonscrit, moins il précise.
Il ne suit scrupuleusement ses lignes que pour mieux prendre la fuite.
Le sujet qui se trouve alors serti gagne en obscurité et en polyvalence, enfin apte à nous recevoir.
Vous aimez Dantec, le réprouvé de l'Otan ?
Vous le considérez comme un rempart solide contre la chienlit islamo-fasciste, la barbarie serbe, le déclin de la chrétienté occidentale, les incertitudes climatiques, la téléréalité, les pages "Rebonds" de Libération et le totalitarisme des Zinrocks, ces sept plaies modernes de l'Unimonde ?
Vous vous étonnez du savoir encyclopédique d'un homme qui peut lire d'affilée de Maistre et Fallaci ?
Vous vous émerveillez de la faconde d'un écrivain qui ne craint plus le point virgule ?
Vous ne cachez pas votre admiration pour le METAbolisme d'un style techno-pop ?
Vous frissonnez d'aise à l'idée que Matthieu Kassovitz, cinéaste urbain, puisse adapter l'un de ces romans futuro-trash ?
Vous en voulez, parce que c'est maintenant ou jamais, à Festivus, aux imams, à Edwy Plenel et à tous ceux qui excisent ?
Alors ce long texte définitif va vous mécontenter, surtout lorsqu'il aboutit, entre autres, à cette éclairante conclusion :
"Il y a une vraie symétrie Savigneau-Dantec, une complémentarité, un même souci de son ego trouvant à se satisfaire dans un anti-rationalisme bouffon, un postmodernisme supposé autoriser toutes les "transgressions", y compris "anti-bien-pensance-post-68". M. Dantec a choisi d'incarner le mouton noir, ce n'est pas le rôle le plus confortable, il a plus de curiosité que J. Savigneau et, souhaitons-lui, plus de talent et d'intelligence. Cela ne suffit pas à l'en distinguer par nature."
A l'inverse d'un cinéma ultra-moderne sciemment dépourvu de sens, qui découpe et colle entre eux, de la manière la plus banalisée qui soit, la plus commune, les plans incongrus, Bresson paraît prendre le parti de ne monter que des lambeaux de plans classiques, des plans qui s'ils étaient déroulés en totalité, et montés dans la même succession, conduiraient à des séquences du plus limpide classicisme.
Ce faisant, il délivre le récit de la gangue du scénario qui emprisonne et assujetit, prenant le risque du symbole qui universalise, afin de passer sans renoncer aux structures et aux règles, de l'objet signifiant et de l'image informative à la vérité du sujet, c'est-à-dire à ses gestes.
Lorsque j'étais enfant, en vacances, nous entendions souvent passer au-dessus des arbres du jardin, un pic-vert affolé dont le cri répétitif annonçait l'orage. Mon père m'en avait montré de somptueux dessins, soulignant la vivacité de ses couleurs (ailes vertes, ventre blanc, croupion jaune et calotte rouge) ainsi que sa grande timidité. De fait, malgré mon attention extrême, je ne parvins jamais à distinguer autre chose qu'une silhouette effilée, peut-être verte, s'engouffrant en toute hâte sous l'ombre lointaine des peupliers.
Les années passèrent. L'impatience, puis la frustration, enfin l'indifférence : le pic-vert pouvait toujours chanter, je ne levais plus la tête, certain de le manquer. Je commençai à ne plus venir aussi souvent dans la maison des vacances, car d'autres événements autrement plus importants me retenaient ailleurs : je devenais un homme. Mon père en revanche s'y installa. Parfois, après une brève visite, je me retournais en haut de la côte pour le saluer à travers le pare-brise. Il faisait de même, de dos, là-bas près des ormes. Nous ne savions que nous dire. Je faisais semblant de ne pas voir qu'il vieillissait, il faisait mine de s'intéresser à mes projets. J'étais absent, trop affairé sans doute, lorsqu'il mourut à l'hôpital, essouflé et mutique.
C'était il y a quatorze ans. Il y a quelques semaines, j'ai reconnu le cri dans le petit jardin entouré de tuyas qui borde notre maison. M'approchant j'ai vu deux pic-verts, en couple probablement, gros comme des geais, qui s'envolèrent à ma venue, sans m'empêcher de longuement les reconnaître. J'ai appelé ma fille qui a accouru avant de repartir, vaguement déçue de cette ombre peut-être verte qui disparaissait derrière la clôture.
Depuis, ils sont là tous les soirs, me regardant derrière la vitre, ni accusateurs ni réconfortants, sans énigme, simplement disponibles. Et j'attends la venue ce battement de coeur qui résonnait si fort en ces temps éperdus.