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  • 37

    A l'ouverture de la portière, le givre en rosace cède dans un bruit excessif de baiser, celui que les enfants imitent pour se moquer des couples éperdus.

    Elle ressemble à Jean Harlow, avec cet admirable mouvement du cou et ce plissement des lèvres quand elle s'étonne, résolument démodés.

    Film socialisme de Godard : la dernière opposition conséquente à l’extrême lisibilité du cinéma fictionnel, c’est-à-dire à sa propagande, à l’évasion qu’il promet et à l’abrutissement qu’il planifie, à sa mise au pas des émotions et des jugements.

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  • 35

    Le temps ne détruit rien : il nettoie.

    Plus ils aggravent leur cas pour tenter d'entrer au Salon des Refusés et plus ils accèdent au prime time. La surenchère est un art et une industrie.

    Entre l'ultra-violence bariolée de Sin City et celle, clinique et froide, de Clean Shaven, deux films particulièrement difficiles à regarder, il existe une différence de taille : dans le second les cadavres sont filmés de près mais les meurtres demeurent toujours hors-champ, exactement à l'inverse du premier, fleuron de la culture pop qui se fout bien des corps, et qui ne souhaite que les amonceler sans difficulté, dans l'agonie comme la volupté.

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  • 34

    Je regrette ce temps à peine connu, celui des femmes inespérées, des amis secrets, des films introuvables et des livres sous le manteau.

    Le regard croisé, le portable s'éteint. La porte refermée, la robe se dégraphe. La culotte écartée, les mains se prennent. L'amant retiré, le portable se rallume. Trois messages en attente et une nouvelle promotion pour le ski cet hiver.

    Les politiques ? Prêts à rien puisque d'accord sur tout. Les journalistes ? Vertueux sans morale et vicieux sans génie. Les artistes ? Prompts à divaguer dans le rang.

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  • 33

    Jan Kounen a ceci de fascinant qu'il choisit toujours l'allusion la plus appuyée, l'amorce la plus vulgaire, le mouvement de caméra le plus redondant, le découpage le plus gratuit : en ce sens, son adaptation du 99 francs de Beigbeder est une réussite, parfaite illustration, et donc dénonciation, de l'esthétique publicitaire.

    Le cinéma est un art de la dispersion tempéré par le ressaisissement : comment cadrer la multitude sans qu'elle se fane.

    Il a beaucoup pleuré devant les drames de ce film à succès, et puis de retour chez lui, il a repris son visage le plus impassible pour dîner froidement en compagnie d'enfants dénutris et de victimes d'attentats : qui a prétendu que la télévision saurait rivaliser avec le cinéma ?

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  • 32

    Je retrouve quelques pages d'un roman adolescent, grandiloquent et funèbre, que je ne peux relire sans rougir. Les toutes dernières phrases, cependant, résonnent aujourd'hui autrement :"Il y a cette ombre sur sa main, comme une autre main qui le presse, ce voile sur ses yeux et puis dans sa voix, il y a cette hâte qui l'étreint et cette inquiétude encore : surtout ne pas trop dire. Enfin il est mort."

    Erotomane mystique, romancier apocalyptique, essayiste abellien, Jean Parvulesco n'est plus. Il est peu probable que cette nouvelle intéresse quiconque, sinon les happy few. J'irai ce soir me recueillir chez Rohmer (où il apparaît dans le très subtilement corrosif L'Arbre, le maire et la médiathèque) et chez Godard (où il s'exprime, dans A bout de souffle, sous les traits de Jean-Pierre Melville).

    - Quel est le pays le plus intelligent du monde ?
    - Parvulesco : La France.
    - Est-ce que vous aimez Brahms ?
    - Parvulesco : Comme tout le monde, pas du tout.
    - Et Chopin ?
    - Parvulesco : Dégueulasse.
    - Quelle est votre plus grande ambition dans la vie ?
    - Parvulesco : Devenir immortel. Et puis, mourir."

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  • 31

    Je ne sais s'il s'agit de sa silhouette trop ondulante ou de sa langue si venimeuse, mais il m'est arrivé plus d'une fois de vouloir l'écraser du talon.

    La différence entre un érudit idiot et un ignare finaud tient finalement à peu de choses ; l'un comme l'autre se révèlent devant toute manifestation poétique, incapables de silence.

    La première demi-heure du Sunchaser de Cimino, cette sortie en catastrophe hors de la ville qui fait passer  le médecin (sous la menace de son patient) de la chambre d'hôpital aseptisée aux quartiers qui grondent, est une critique radicale du modèle social américain. Le cinéaste la recouvre ensuite de grands espaces et de grandes théories, se concluant par l'exaltation mièvre de l'hyperindividualisme, conception des rapports humains qui est justement à la racine du désastre si bien représenté en ouverture.

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  • 30

    La nuit vient, les derniers rayons sur le lilas accentuent sa teinte cireuse, il fait froid mais le feu crépite, les corbeaux rejoignent les bords du lac pour s'endormir en bande, je repense à hier, une petite main se glisse dans la mienne pour m'entraîner vers le conte.

    Sourire à bon escient, flatter sans se forcer, s'éloigner en demeurant aux aguets, rire des bons mots et même en faire à l'occasion, féliciter pour un rien, avoir assez de succès pour vendre et assez de talent pour s'en étonner, tout cela mérite reconnaissance, un titre ou un prix. Nabe n'a pas assez d'esprit de cour, comme c'est ennuyeux.

    Un encart publicitaire vante quatre classiques français qui sortent en dvd, s'enthousiasmant pour la formidable collaboration Cocteau/Delannoy (L'Eternel Retour), l'extraordinaire association Gabin/Duviver (La Bandera), le chef d'oeuvre méconnu de Clouzot (Manon), avant de présenter Occupe-toi d'Amélie comme une comédie virevoltante emportée par... Danielle Darrieux. Autant-Lara n'est pas un concept vendeur, comme c'est regrettable.

     

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  • 29

    A en croire la plupart des articles sur la question, l'intelligence serait caractérisée par la faculté de s'adapter aux situations nouvelles : l'idéologie du Progrès est décidément la plus tenace de toutes.

    Le lien entre De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau et Les Amants du Pont-Neuf de Carax, ce n'est pas juste l'exceptionnelle attention portée aux âmes en peine, c'est aussi cette bouleversante stylisation de la rage, ce sanglot monstrueux qui par politesse, se retient jusqu'à la grimace.

    Sur le site de promotion Ring (après le prophète Dantec, le messie Houellebecq, si le poisson change, la sauce reste la même), Marin de Viry insulte Nabe (dans un texte intitulé Extrême Crétin) parce que celui-ci a laissé entendre qu'il s'était fait "rouler dans la farine" par l'auteur de "La Carte et le territoire". Je crois qu'il y a moins manipulation dans tout cela qu'échange de bons procédés. Ainsi une bannière publicitaire sur le Ring rapporte-t-elle une phrase de Houellebecq vantant le dernier livre, ampoulé et longuet, de de Viry : depuis que j'ai lu "Le matin des abrutis", je me sens mieux. C'était bien la peine d'aller si mal si c'est pour guérir de la sorte.

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  • 28

    Se découpant à l'identique de la fenêtre de son cellier aux étiquettes d'eau minérale, cette montagne penchée la persuade qu'elle fait partie, quasi-médiatiquement, de la même société que tous ceux qui paradent.

    Il y a ceux qui sont capables de tout par amour, et ceux qui au contraire, terrassés, ne sont plus capables de rien.

    Ce qui peut expliquer la si violente réception critique des Petits mouchoirs, c'est la crainte du miroir (le chroniqueur de Télérama s’empresse de préciser qu’il est « heureux de ne plus faire partie de cette génération-là » ; le rédacteur des Inrocks y voit « une certaine idée de l’enfer » et supplie ses proches de ne jamais l’amener à côtoyer de tels individus …). Le miroir, mais pas celui si complaisamment vanté comme tel, qui se rengorge de distance, de troisième degré, qui biaise et qui détourne, qui fait dans la déformation satirique, la métaphore salutaire, l’allusif souffreteux ou dandy, non le miroir bête et méchant, celui qui n’a pas les moyens de « réfléchir radicalement sur l’époque », de « donner un coup de pied dérangeant dans la fourmilière de nos préjugés », méthode éprouvée qui permet à peu de frais d’oublier qu’on est englué et compromis jusqu’au cou dans les apories modernes.

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  • 27

    Il semble si nonchalant et réservé : à coup sûr c'est un homme pressé qui croit très fort en lui.

    Dans la forêt presque nue, au détour d'un sentier, les troncs gris et frêles qui tremblent d'un coup, paravent fragile derrière lequel le remue-ménage enfle : huit chevreuils soudain apparaissent puis stupéfaits s'évanouissent à nouveau.

    Les Petits mouchoirs parle de notre temps dévasté où des zombis rigolards s’envoient des bourrades. Peu importe qu’il ne s’en moque ni ne s’en inquiète, c’est déjà  bien qu’il le montre. Ceci était censé clore le texte paru ce week-end sur Causeur, mais en raison de sa longueur déraisonnable, ce dernier a été un peu raccourci par endroits, ce qui lui donne un aspect pour le moins péremptoire. Mais enfin, l'essentiel y est.

     

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  • 26

    Elle est quelconque, il est très beau, longeant le quai sous le même parapluie ; à voir comme il la dévore des yeux, on comprend vite qu'il lui a tout volé.

    Au nom de quoi voudrait-on que le romancier Houellebecq s'inquiète de l'unanimité qui le sacre, de cet engouement excessif et tapageur ? Au nom de ses personnages qui exècrent ce type de liesse ? Belle confusion des rôles.

    Je préfère avoir tort avec Brisseau que raison avec François Ozon.

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  • 25

    Une fille de vingt ans à peine, plutôt jolie (c'est-à-dire boudeuse sans excès), consulte à voix haute son agenda téléphonique pour la plus grande joie du petit groupe qui l'entoure : elle ne veut pas appeler A. parce qu'il la gave ; B. parce qu'il est trop con ; C. parce qu'il relou, D. parce qu'il est sûrement avec E. etc... Je lui propose de m'ajouter à ses contacts parce qu'elle n'a personne à la lettre L. Dans ses yeux, successivement, un éclair de perversion vague, une légère inquiétude, de la colère sans retenue. Je n'insiste pas.

    Sur le chemin de l'école, Emilie me montre un troglodyte gros comme un pouce, qui fait le matamore, tourne comme un bourdon, puis disparaît sous une feuille.

    Frédéric Saenen de La Vie littéraire ne se contente pas de tenir de bien aimables propos sur le Bréviaire de cinéphilie dissidente, il me pose en outre toute une série de questions auxquelles il tient manifestement à ce que je réponde.

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  • 24

    Dans Hadewijch, Dumont tient à montrer, comme Alain Badiou dans son Eloge de l'amour, que l’amour fusionnel joue en quelque sorte contre le monde. «L’amour total» que Céline voue au Christ, cette recherche désespérante d’une unité impossible, la fait passer à côté de Yassine qui pourtant lui tend la main, la force à ne pas se nourrir malgré la faim, ne pas se protéger du froid, ne pas faire attention aux visages des passagers du métro avant son geste insensé. Lorsqu’on est tout entier dans la philosophie de l’Un, tout entier dans la souffrance de l’humiliation ou la volonté de puissance, quand l’on remet son corps entre les mains d’autrui à défaut de savoir l’habiter, le monde autour peut bien s’écrouler.

    Insomnie vers deux heures du matin : il me restait cinq heures pour écrire un roman, l'imprimer et le poster, ce qui était bien suffisant, mais impossible de me souvenir du mot de passe qui déverrouille l'ordinateur. Le cherchant, je me suis rendormi.

    Elle a des jambes étonnantes, une nuque inhabituelle, des seins inattendus et une démarche rare ; pourquoi faut-il qu'elle ait un phrasé si commun ?

     

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  • 23

    Je ne me trouve jamais plus démodé que lorsque je me souviens de mon tout premier sein féminin, celui d'une danseuse du Lido aperçu furtivement un soir de réveillon, à quinze ans, juste avant que mon père n'éteigne la télévision en toussant.

    En art comme en amour, ce qui sonne neuf est ce qu'on avait le mieux oublié. L'histoire du cinéma suffit à nous l'enseigner : toute nouveauté est réminiscence.

    Disco. Emmanuelle Béart a trouvé la parade : elle remplace désormais son jeu inexistant par un visage immobile, l'absence d'émotions par l'effacement des expressions. Un masque en a chassé un autre.

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