Il est des films qui se veulent à toutes forces novateurs, qui le signifient à chaque plan, surenchérissent aux raccords, insistent au découpage. À force de désencombrer, utilement, le cinéma de ses derniers lambeaux de psychologisme, ils en viennent à retrouver, du fait de l’absence minutieuse de structure et de l’absence consenti d’intrigues, les mêmes impasses qu’en son temps le « Nouveau Roman »
(La suite sur Kinok)
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EPURE ET COLIFICHETS
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POSITION DOMINANTE
Question : Vous venez d'écrire : "la domination masculine." Envisagez-vous d'écrire aussi sur "la domination féminine" ?
Réponse : C'est une jolie question mais ce n'est pas une question pour sociologue. Pour ma part je n'ai pas ce projet. Mais, pour répondre sérieusement, dans domination masculine ce qui est important ce n'est pas le mot masculin mais la relation de domination.
Parler de domination masculine, c'est dire que l'objet réel de ce travail c'est une relation.
(Entretien avec Pierre Bourdieu, Forum Fnac Saint Lazare, 1998)
La différence des sexes n’est pas non plus la dualité de deux termes complémentaires, car deux termes complémentaires supposent un tout préexistant. Or, dire que la dualité sexuelle suppose un tout, c’est d’avance poser l’amour comme fusion. Le pathétique de l’amour consiste dans une dualité insurmontable des êtres. C’est une relation avec ce qui se dérobe à jamais.
(Emmanuel Lévinas, Le temps et l'autre, 1979) -
REGARDS
Il y a mille et une manières de définir l’art cinématographique et mille et une chausse-trappes qui dans ce cas attendent l’audacieux qui oserait tenter pareille mise en ordre. On connaît la solution prônée à peu près partout désormais : voir en tous lieux du cinéma, un plan à chaque image, du sens à chaque hors-champ, une mélodie singulière à chaque découpage. L’objectif, conscient ou non, étant bien d’anoblir les oripeaux de la société marchande, de légitimer la publicité et la propagande qui la servent, d’agrandir le territoire avilissant de la médiocratie qui l’honore. Un spot publicitaire, un clip musical, un programme de télé-réalité, n’importe quel moment vécu en même temps que filmé, peuvent alors par la grâce de l’allusion cryptée et de l’invocation cinéphile, devenir sous la plume du critique relativiste, de l’Art ; avec cette majuscule qui rejette dans les ténèbres réactionnaires, ceux qui oseraient encore émettre des doutes sous l’ovation (...)
(Sur I was a soldier du grand Michael Grisby, la suite sur Kinok)
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DECOUPAGE
Il est d’usage aujourd’hui, pour n’importe quelle scène d’action, de rajouter après coup et numériquement de la vitesse au sein du plan, tout en rendant celui-ci instable par d’intempestifs mouvements de caméra, ce qui voudrait prétentieusement souligner l’incohérence des situations et la polyphonie du monde, mais qui a surtout pour conséquence d’en rendre les motifs proprement illisibles. Cette prolifération de formes sans lien apparaît alors, de la manière la plus paradoxale qui soit, totalement homogénéisée, s’écoulant dans un flux sans surprise ni appui.
A l’inverse, Kerrigan dans Clean Shaven, ne se sert que d’une alternance de champs/contrechamps à la vigueur peu commune pour donner du sens aux gros plans sur le visage ou le corps de son héros, soudain confrontés à l’environnement menaçant, en inserts ou en plans larges, qui l’assiège. De ce fait, le spectateur, partie prenante de ce chaos sensoriel, endure à son tour la juxtaposition jamais ordonnée mais toujours limpide de segments de sons et d’images, oppressante par leur étrange régularité.
(La suite sur Kinok)
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LEVIATHAN
Le cinéma ne se contente pas de flatter en toutes occasions l'hyper-Moi et sa mémoire réticulaire, il assure aussi sa reproduction indéfinie. Pantin tressaillant sous les affects, le spectateur-marionnette va au film comme au lit ou au bureau : dans la pleine démesure de sa singularité dévoyée, c'est son narcissisme même qui lui permet de toujours plus s'enrégimenter, et avec le sourire.
"Je vois, continue l'observateur d'un monde en voie de désenchantement, une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance." (Tocqueville, La démocratie en Amérique)
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DOPPELGANGER
Ne serait-ce que numérologiquement, l'année 2008 était placée sous le signe du double, et cela n'a pas manqué : dédoublements, schizoïdie, faux jumeaux et vrais sosies, couples infernaux et divines idylles, l'emprise du doppelganger était telle que les menaces comme les bonnes surprises, car il y en eut quand même, sont venues de binômes réels ou fictifs, tous plus inattendus les uns que les autres, d'associations de malfaiteurs comme de duos de circonstances, de Janus dominateurs ou d'ombres jalousant leur propriétaire, de duels amoureux et de couples-reflets en plein malentendu (ceci dit, l'amour n'est qu'un malentendu).
Commencée avec Kerviel et finie avec Madoff, l'année 2008 a surtout montré, au diapason des précédentes, sa puissance de feu, certes à des degrés fort divers, dans l'opportunisme ou la médiocrité, la scélératesse voire l'infamie, ce que nous nous proposons d'illustrer par ces quelques duos (mais attention, un couple intrus s'est dissimulé dans ce désolant florilège...)
Bonne année à tous !